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intervalle, les parties en toute affaire fussent tenues de désigner, pour exercer les fonctions de juge suppléant, l’avoué ou l’avocat qui leur inspirerait le plus de confiance. A l’expiration des six mois, cette espèce de scrutin serait présentée au garde des sceaux, qui trouverait dans les préférences des justiciables la preuve des lumières et de l’autorité du candidat[1]. Ce procédé, à coup sûr un des plus ingénieux, ne répond qu’à certains besoins. Il néglige les meilleurs juges de paix, il exclut le parquet ; pour les cours, il écarte les présidens et les membres les plus distingués des tribunaux. Enfin on peut craindre que le choix ne tombât tantôt sur les avocats les plus connus qui refuseraient un siège, tantôt sur les jurisconsultes que désigneraient les avoués devenus les maîtres absolus du recrutement.

Écartons le vote des justiciables, comme l’assemblée mixte, comme le tableau annuel des candidatures, n’hésitons pas davantage à repousser la présentation par les conseils-généraux, qui introduirait les passions politiques en un domaine d’où elles doivent être bannies. Comment donc établir un contrôle et un frein ? Les autres ministres n’ont pas ce pouvoir absolu. Est-ce que le ministre de la guerre ou de la marine peut accorder une promotion de choix à un officier si celui-ci n’est pas porté au tableau d’avancement ? Pour les chaires de l’ordre le plus élevé, est-ce que le ministre de l’instruction publique peut sortir du cercle tracé par les présentations des compagnies savantes ? La politique pure échappe seule à ces sévères garanties, et il ne peut en être autrement : partout où les qualités de tact et de mesure, partout où l’action, le dévoûment et le zèle sont plus nécessaires que la science acquise, le ministre peut décider seul. Ce n’est pas par un examen qu’un candidat montre qu’il sait le secret de manier les hommes. Les ministres de l’intérieur ou des affaires étrangères doivent donc demeurer libres, tandis que nul de leurs collègues, quelle que soit sa perspicacité, ne peut en dehors de toute vérification spéciale, découvrir un ingénieur, inventer un savant ou créer un juge. Faut-il, à l’imitation des autres départemens ministériels instituer auprès du garde des sceaux un comité d’avancement, un conseil supérieur de la justice qui dresserait chaque année, sur les rapports des chefs de cours, une liste dans les limites de laquelle serait enfermé le ministre ? Ce système substituerait dix électeurs à un électeur unique. Il mettrait le ministre de la justice en tutelle sans lui fournir de véritables lumières. Cherchons donc les garanties qui l’éclaireraient sans nuire à sa dignité.

Dans les usages actuels, le premier président et le

  1. Vues sur le gouvernement de la France, p. 151.