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chancellerie, nous pensons que nous aurons fait un grand pas vers l’indépendance du pouvoir judiciaire. Tout ce qui doit appartenir à l’état lui demeurera sans conteste : non-seulement le choix entre les candidats présentés et l’investiture du magistrat, mais la discipline exercée à tous les degrés sur l’initiative du chef de la justice, la nomination et l’avancement des membres du parquet, la suprême impulsion de l’action publique, seront le domaine exclusif du garde des sceaux. Il conservera de la sorte, dans une mesure restreinte mais nécessaire, l’action qui doit appartenir au gouvernement sur les corps judiciaires.

À ces réformes qui doivent fortifier le caractère du juge, lui donner à la fois la dignité et la fermeté, d’autres qui en seraient le complément viendraient tout naturellement se joindre ; les traitemens seraient relevés dans une proportion suffisante pour mettre le juge au-dessus de la gêne, ils seraient augmentés d’un cinquième après dix années de résidence hors de Paris en un même siège, le montant des pensions de retraite serait égal à la moitié du traitement, les retraites forcées seraient abolies, ce ne serait plus la compagnie qui obligerait ses membres infirmes à se démettre, mais la juridiction supérieure qui exercerait à ce point de vue un pouvoir disciplinaire ; les adresses seraient interdites aux magistrats, ils ne se déplaceraient jamais en corps pour rendre hommage à aucun fonctionnaire, pas plus au garde des sceaux qu’au général commandant un corps d’année ; afin d’empêcher que le soupçon entrât dans l’esprit d’un plaideur, le fils ou le gendre d’un juge ne pourrait être admis à plaider devant lui. En une telle matière, il n’y a pas de réforme inutile ou indifférente ; toutes ont une portée, et le législateur qui en prendrait l’initiative serait assuré d’entourer la justice de ce respect qui est sa force.

Mais à l’heure où nous sommes, la majorité de la chambre ne demande qu’une seule modification : le changement du personnel. Elle ne veut pas, dit-elle, supprimer l’inamovibilité, « mais la suspendre parce que celle-ci forme un obstacle. Avec des hommes nouveaux, elle admet le principe. — Que nul ne s’y trompe : l’inamovibilité suspendue, c’est l’inamovibilité supprimée. Il y a des règles qu’on ne peut violer une seule fois sans qu’aussitôt d’entraînemens en entraînemens, d’exceptions en exceptions, elles me soient à jamais méconnues. Quand, en un siècle où tout a changé, une institution a duré soixante-six années, ne croyez pas qu’il sera aisé de l’abattre un instant, puis de la relever. Après l’avoir frappée, regardez-y bien, et vous verrez qu’elle est à jamais privée de vie. Si, par malheur, la chambre des pairs, en 1815, avait eu la faiblesse de voter la proposition Hyde de Neuville, il est de toute certitude que la magistrature eût été livrée en ce siècle à tous les vents de