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sa naissance, pour le conduire à la vertu par l’admiration des grandes choses et l’enthousiasme qu’elles inspirent… Ce sont ces tableaux animés et touchans qui laissent des impressions profondes, qui élèvent l’âme, qui agrandissent le génie, qui électrisent le civisme et la sensibilité : le civisme, principe sublime de l’abnégation de soi-même ! l’abnégation, source inépuisable de tous les penchans affectueux et sociables ! » Le 4 août, un conventionnel en mission réorganise sur ces bases les théâtres de Marseille : « Il est temps de les rappeler enfin à un but utile, à une institution populaire, de les républicaniser et d’en faire une école nationale qui, par les mœurs privées, produise les vertus civiques. » Il signe et, après lui, deux a commissaires du comité de salut public pour la régénération des théâtres[1]. »

C’est alors que la fièvre chaude s’empare du peuple français. Et je ne crois pas que l’on ait jamais vu dans l’histoire du théâtre pareil débordement d’inepties de toute sorte. Les représentans du peuple eux-mêmes donnent l’exemple. Un membre de la convention fait jouer la Réunion du 10 août, sans-culottide dramatique, dédiée au peuple souverain. Tout est à la république. On joue la Vraie républicaine, où l’on chante le couplet suivant :

Puisse bientôt la France entière,
Se soumettre aux lois de l’hymen,
On est toujours mauvais républicain
Quand, on reste célibataire (bis).


On joue l’Intérieur d’un ménage républicain, la Suite de l’intérieur d’un ménage républicain, l’Epoux républicain, la Nourrice Républicaine, l’Hospitalité républicaine, le Fermier républicain, les Salpêtriers républicains, par un chef du bureau des poudres. C’est dans l’Époux républicain que le serrurier Franklin définit le vrai républicain. « Qu’est-ce qu’un républicain ? C’est le défenseur des lois sons lesquelles nulle société ne peut subsister ! l’ami des mœurs, sans lesquelles l’impudent cynique dépraverait toute société ; le protecteur de l’égalité, sans laquelle les titres usurpés, les grandeurs factices et quelques individus écraseraient le reste de la société. » C’est tout simplement le portrait de « l’homme révolutionnaire, » tel que l’a tracé le vertueux Saint-Just dans un discours tristement célèbre (26 germinal an II) sur la police générale. Là-dessus, le serrurier Franklin fuit appeler un commissaire et quatre gendarmes pour empoigner sa femme Mélisse, qui conspire avec les émigrés. Et voilà ce que c’est qu’un époux républicain ! Pompigny, « citoyen-soldat de la section l’Indivisibilité, » a trouvé cette belle invention. D’autres l’ont égaie. Dans une Reprise de Toulon, donnée en janvier 1794, un représentant du peuple s’adresse en ces termes aux soldats français : « Courage !

  1. Ce grand régénérateur est l’un des pires gredins de la révolution, Maignet, le proconsul d’Avignon.