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Ce serait désormais une dangereuse illusion de sa part, et il y aurait une imprudence presque cruelle à le lui laisser croire. La Grèce jusqu’ici s’est peut-être malheureusement payée un peu trop de quelques paroles irréfléchies, de quelques promesses qui ne pouvaient pas être tenues. La vérité est que, pour la France particulièrement, il n’y a pas un homme sérieux qui puisse dire qu’elle serait disposée aujourd’hui à s’engager autrement que par la diplomatie pour la cause hellénique : non pas que la France manque de sympathie pour la Grèce, mais parce qu’elle est obligée avant tout de se préoccuper de sa propre position, de ses propres intérêts. Et ce secours actif, militaire si l’on veut, que la Grèce n’aurait pas de la France, elle l’obtiendrait vraisemblablement encore moins des autres puissances, de sorte que les chefs du peuple hellène, par une politique de coup de tête, joueraient vraiment fort gros jeu pour leur pays.

N’importe, dit-on, la guerre est préférable à tout ; mieux vaut la guerre avec ses chances, avec tous ses périls, qu’une révolution qui éclaterait infailliblement si on laisse échapper l’occasion. Ceux qui parlent ainsi à Athènes et qui ne sont que les dupes de leurs passions ne s’aperçoivent pas qu’ils ont une singulière manière de légitimer, de recommander aux yeux du monde une grande ambition nationale. Il faut que la Grèce risque tout, qu’elle commette une insigne témérité extérieure parce que sans cela elle ferait une folie à l’intérieur ! C’est précisément au contraire parce qu’elle traverse une épreuve grave que la Grèce est intéressée à se défendre de toute convulsion intérieure, à veiller sur elle-même, à se rallier énergiquement à ses institutions libres, à sa jeune monarchie. Ce n’est pas en faisant des révolutions par dépit ou par impatience, c’est en les évitant, en montrant quelque fermeté dans les mauvais momens que la Grèce peut grandir en crédit et acquérir des titres à ces extensions, à ces succès de nationalité qu’elle rêve. La guerre à tout prix en Épire, c’est, dans le cas d’une défaite qui n’a rien d’invraisemblable, l’avenir perdu pour longtemps. Une révolution à Athènes aujourd’hui, ce serait la meilleure victoire que les Hellènes pourraient procurer aux Turcs. Accepter l’arbitrage qui lui est offert, c’est, de la part de la Grèce, montrer son respect pour la paix en même temps que sa déférence pour l’Europe, et laisser l’embarras d’une décision souveraine à des puissances qui n’en sont peut-être pas à s’apercevoir des difficultés de l’œuvre qu’elles ont entreprise. Ce que les chefs du peuple hellène, hommes du parlement ou ministres, ont donc de mieux à faire pour le moment, c’est de s’employer à tout calmer autour d’eux, de ne rien compromettre, de se confier à l’Europe, sans prétendre lui forcer la main par des menaces de guerre et de révolution dont la Grèce serait la première victime.

Tandis que, pour le début de l’année, ces questions s’agitent entre les chancelleries européennes aussi bien qu’à Constantinople et à Athènes,