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barbarie. Les Turcs n’avaient détruit aucun des monumens d’Athènes. C’est Morosini qui a fait sauter le Parthénon ; c’est lord Elgin qui l’a mutilé. Plaise au ciel que les Grecs n’achèvent point l’œuvre de vandalisme sous prétexte de montrer au monde toute l’étendue de leurs progrès !

En arrivant à Athènes, la première impression des voyageurs qui ne connaissent pas, qui n’aiment pas l’antiquité est celle d’un ennui profond. Au bout de deux jours, ils ont visité la ville d’un bout à l’autre ; ils ont traversé vingt fois les mêmes rues, regardé à satiété des maisons sans caractère, parcouru dans tous les sens des boulevards et des places, remarquables seulement par une poussière aveuglante quand le vent souffle et par une blancheur non moins aveuglante quand le soleil brille. Les indigènes sont fort indulgens pour leur poussière. N’osant pas affirmer qu’elle est agréable, ils jurent leurs grands dieux qu’elle n’est pas nuisible. On peut, suivant eux, s’en remplir les yeux et les bronches sans le moindre inconvénient. Peu s’en faut qu’ils ne déclarent que c’est un tonique qui fortifie les organes où il se loge. Je sais par expérience qu’il faut avoir des bronches et des yeux grecs pour admirer la parfaite innocuité ou les vertus salutaires de la poussière d’Athènes. En hiver, lorsque le Borée fait rage, — et cela lui arrive hélas ! bien souvent, — il est impossible de s’en garantir. Elle pénètre partout, dans les vêtemens, dans les chambres les mieux fermées, dans les tiroirs les mieux clos. La pluie ne l’abat que pour quelques heures. Dès que le soleil recommence à briller, elle reparaît. La moindre brise la soulève en tourbillons dont la ville entière est enveloppée. Les arbres en sont couverts ; aussi leurs feuilles varient-elles entre le blanc et la couleur de la boue, on dirait les plantes en métal qui ornent les mauvais cabarets d’Occident.

Je disais donc que les voyageurs peu amoureux de l’antiquité étaient médiocrement charmés par Athènes. Ils n’y rencontrent presque pas de distractions ; il est rare que le théâtre soit ouvert, et en dehors du théâtre, il n’y a rien. L’été seulement, la plage du Phalère est égayée par des concerts, des fêtes, des réunions de toute sorte ; on y jouit à la fois des plaisirs du bain et de la musique des Cloches de Corneville. Mais, l’hiver, tout est calme. Peu de villes présentent un aspect aussi tranquille qu’Athènes. Je croyais les Grecs bruyans et tapageurs ; sur la foi de récits peu véridiques, je m’imaginais qu’ils discutaient avec vivacité dans les rues et sur les places les plus graves sujets politiques, qu’ils s’emportaient très vite, qu’ils étaient toujours en mouvement, toujours prompts à crier, sinon à agir. Je comparais leur animation à celle des Arabes du Caire et d’Alexandrie, et j’entendais sortir d’Athènes, comme de ces deux villes, une rumeur incessante, pareille au bruit de la houle.