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les discussions parlementaires et extra-parlementaires est la puissance invincible de l’héroïsme grec, qui n’a besoin d’être secondé par aucune force extérieure pour réaliser les ambitions nationales. Seulement, une variante aratoire non moins constante roule sur l’obligation où se trouve l’Europe devenir au secours de cet héroïsme qui pourrait si aisément se passer de secours. Il n’y a aucune contradiction entre les deux idées. Les Grecs sont assez forts par eux-mêmes pour vaincre la Turquie ; mais ils sont si beaux dans leur courage que l’Europe ne peut manquer de venir combattre avec eux, afin de recueillir quelques reflets de leur gloire, quelques feuilles de leurs lauriers.

Cette vanité grecque gâte un peu la société d’Athènes, qui, sans cela, serait des plus agréables. Certes, si les Grecs se vantaient moins eux-mêmes, s’ils exigeaient moins les éloges qu’on est tout prêt à leur faire, on serait heureux de leur montrer l’estime que méritent les progrès qu’ils ont accomplis depuis leur indépendance. Pour fonder une capitale, il ne suffit pas de bâtir des maisons, d’élever des hôtels, de construire des palais, de percer des boulevards, de planter des squares ; il faut encore, il faut surtout créer des salons, former des réunions où l’on cause, avoir des hommes capables de parler avec esprit et des femmes habituées à recevoir avec grâce. On rencontre tout cela à Athènes. S’il faut en croire les descriptions qui datent d’une vingtaine d’années à peine, ce qui frappait alors dans la société grecque, c’étaient les disparates qu’on y remarquait sans cesse. L’Europe entière a ri des efforts infructueux de la jeunesse athénienne pour devenir une jeunesse dorée. Les Grecs ont protesté avec colère contre la critique ; mais, tout en protestant, ils en ont profité. Aujourd’hui la jeunesse d’Athènes est fort bien élevée ; elle a des manières excellentes et beaucoup d’usage du monde. Je n’ai pas assisté à un grand nombre de soirées, parce que les événemens politiques ne permettaient guère de s’amuser ; mais toutes celles où je me suis trouvé m’ont paru charmantes. On n’y dansait pas, sous prétexte que c’eût été danser sur un volcan ; mais on y causait fort bien, on y faisait de la musique, on y était reçu avec une affabilité du meilleur goût. A la vérité, on y applaudissait parfois de bien fausses notes, car les Grecs ne sont guère musiciens, mais je n’y ai remarqué de dissonances qu’en musique. La société grecque compte un grand nombre d’hommes distingués, et quelques hommes éminens dont le commerce est aussi utile qu’aimable. Il est surprenant de voir de véritables savans, des érudits de premier ordre, de fins littérateurs, des poètes délicats dans une ville et dans un pays dont l’indépendance est d’hier. On a trop parlé de l’état de l’instruction publique en Grèce pour que j’en