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qu’elles sont dans le génie de la langue, lequel est très favorable à l’éloquence déclamatoire et vitupérative. Pendant que les plus violentes invectives tombent de la tribune, les députés à demi somnolens dégustent les limonades qu’on fait circuler dans la salle des séances comme dans un café ; la buvette est des plus simples ; je doute qu’elle suffît à nos chambres ; placée près de la tribune du président, elle se compose de quelques gargoulettes et de quelques citrons. On ne fume pas pendant les discussions, mais on le fait librement quand elles sont suspendues. La liberté des allures est complète dans la chambre d’Athènes ; ce n’est pas une assemblée de rois comme le sénat romain, c’est une réunion d’hommes d’affaires qui causent de leurs intérêts en famille, avec un aimable et piquant abandon.

Les Grecs ont un remarquable respect pour toutes les opinions : elles peuvent se produire à la chambre, même avec une grande violence, sans que personne songe à s’y opposer. Qu’il en abuse ou non, un orateur a le droit de conserver la parole jusqu’à la fin de son discours. La majorité ne saurait terminer à son gré une discussion : tous les orateurs inscrits peuvent parler si bon leur semble, et l’opposition aurait le moyen de retarder indéfiniment chaque vote si cela lui convenait. Heureusement qu’il n’y a pas encore à Athènes de parti obstructionniste. Les débats parlementaires y sont sincères, quoique le plus souvent très stériles. Ils ne roulent guère que sur des sujets politiques. Les lois d’affaires, le code civil, restent en suspens depuis des années. Au fond de tout débat, il ne s’agit que de la lutte pour le pouvoir. C’est la seule chose pour laquelle les députés se passionnent. Peut-être est-ce la seule chose pour laquelle puisse se passionner un peuple aux yeux duquel le régime parlementaire n’est qu’un moyen de donner satisfaction à des intérêts individuels. Les Grecs commencent à être bien fatigués eux-mêmes de leur état politique. Ils cherchent un remède, mais ils ont tort de croire que ce remède se trouvera dans une extension de frontières. L’acquisition de l’Épire et de la Thessalie enrichira le royaume, elle ne changera pas sa constitution intérieure. En devenant plus nombreuse, la chambre des députés, qui l’est déjà trop, ne deviendra pas plus apte à remplacer des compétitions personnelles par des travaux féconds. On ne rencontrera ni en Epire ni en Thessalie les élémens d’un sénat dont tous les esprits éclairés regrettent la disparition, mais sans savoir comment on parviendrait à le faire renaître. La réunion de tous les pouvoirs dans une même assemblée à laquelle la couronne laisse une entière liberté d’action, est un déplorable régime. Il en était résulté des fluctuations parlementaires sans nombre, un émiettement déplorable des partis, des changemens continuels