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un vainqueur que le succès enivre. Les conditions du combat vont changer. Arrêtés dans leur fuite par les renforts qu’Antipater leur envoie, les Macédoniens peu à peu se rallient ; des masses considérables se déploient dans la plaine. Pour éviter le danger de voir sa troupe trop faible enveloppée, Agis est obligé de battre lentement en retraite. On l’aperçut longtemps au milieu de la cohorte, la dominant de sa haute taille, resplendissant dans sa superbe armure, se faisant surtout distinguer par la vigueur des coups qu’il portait. A tous ces signes jadis on reconnaissait un roi ; la plupart des traits étaient dirigés contre lui. Agis recevait les uns sur son bouclier, évitait les autres en se baissant soudain, en inclinant adroitement son corps à droite ou à gauche. Un coup de lance lui traversa enfin les deux cuisses. Le sang jaillit de la double blessure avec abondance ; Agis pâlit et s’affaisse. Ses écuyers le relèvent et l’emportent sur son bouclier jusqu’au camp. Privés de leur chef, les Lacédémoniens ne se débandent pas ; ils jonchent le terrain de leurs morts et de leurs blessés, mais ils parviennent enfin à regagner la hauteur. Là ils prennent racine dans le roc et ceux qui sont frappés tombent, sans regarder en arrière, à leur poste. Les Macédoniens arrivaient en foule, portés par cet élan qui accompagne toujours des troupes victorieuses ; les premiers rangs étaient en vain abattus, d’autres soldats venaient à l’instant prendre leur place. Des flots de sang arrosaient le pied des retranchemens ; jamais la Grèce, nous assure Quinte-Curce, ne vit de combat plus acharné. Le soleil de juin brûlait les combattans : les hoplites succombaient sous le poids de leurs armures et leurs bras lassés ne portaient plus que des coups sans vigueur. En pareille occurrence, c’est le nombre inévitablement qui triomphe. Il fallut reculer et abandonner le bord du plateau ; les Macédoniens inondèrent l’étroit espace que l’héroïque phalange défendait depuis le matin. Au bruit du tumulte, Agis se soulève à demi défaillant sur sa couche. Il se fait déposer à terre et essaie de s’affermir sur ses jambes qui fléchissent ; une fois de plus ses forces trahissent son courage. Il tombe sur les genoux. Alors, le casque en tête, le bouclier appuyé au sol, la pique en arrêt, il appelle l’ennemi, le défie et, au milieu de la grêle de traits dont il devient le but, se plaint que, parmi tant de guerriers, aucun n’ose l’attaquer de plus près. Un javelot lui perce enfin la poitrine ; le héros trouve encore la force d’arracher le fer de sa blessure ; sa tête se penche sur son bouclier et il expire en couvrant ses armes de son corps. Admirable héroïsme que notre propre histoire a rendu vraisemblable ! Les mères de Sparte ne sont pas les seules qui aient eu la consolation de pouvoir porter un deuil éternel avec fierté.