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aujourd’hui d’accord, c’est le rôle que jouent dans les pays de montagnes les massifs boisés pour la régularisation des cours d’eau et le maintien des terres sur les pentes. Cette action, observée depuis longtemps, a surtout été mise en lumière par M. Surell, ingénieur des ponts et chaussées, dont le bel ouvrage sur les Torrens des Hautes-Alpes, publié en 1841, et couronné par l’académie des sciences, a été le point de départ de toutes les études et de tous les projets de loi sur le reboisement. Bien que l’auteur n’ait eu en vue que la restauration des Alpes françaises, les conclusions auxquelles il arrive sont applicables, quoique, à des degrés divers, à tous les pays de montagnes ; mais c’est dans les Alpes que les phénomènes qu’il a observés se manifestent avec le plus d’intensité et crue le reboisement s’impose comme une véritable mesure d’ordre public.

Lorsqu’on pénètre dans la région accidentée sur laquelle cette vaste chaîne étend ses ramifications et qui comprend les sept départemens des Alpes-Maritimes, des Basses-Alpes, des Hautes-Alpes, de l’Isère, de la Drôme, de la Savoie et de la Haute-Savoie, on est frappé de l’aspect de la plupart des montagnes. Elles ne rappellent ni les sommets arrondis et verdoyans des Vosges avec leurs flancs boisés et leurs cimes herbeuses, ni les plateaux du Jura coupés par des vallées abruptes, ni les cratères volcaniques de l’Auvergne formées par de puissantes assises calcaires appartenant aux terrains jurassiques, redressées à une immense hauteur, elles sont inclinées d’un côté vers l’horizon et présentent du côté opposé un escarpement presque vertical se reliant à la vallée par une pente rapide. Il semble qu’en se refroidissant, l’écorce terrestre se soit disloquée et que ces bancs calcaires, après avoir été brisés, aient éprouvé un mouvement de bascule qui les a abaissés d’un côté en les relevant de l’autre. D’une épaisseur de 50 ou 60 mètres, semblables à des murailles à pic du côté où la rupture s’est produite, ils se terminent par des crêtes dentelées, et reposent eux-mêmes sur les couches géologiques antérieures, mises à jour par ce soulèvement des dernières, qui sont tantôt des marnes entremêlées de sable, tantôt des schistes argileux d’une grande puissance, n’ont qu’une faible consistance et sont facilement attaquées par les agens atmosphériques ou délayées par les eaux.

Les vallées ne sont pas, comme dans les Vosges, disposées symétriquement de chaque côté de la chaîne principale, ou, comme dans des environs de Paris, creusées par les érosions qu’une mer violemment chassée a produites dans son bassin ; ce sont des vallées irrégulières et contournées, dans lesquelles les eaux ont dû se frayer péniblement un passage qu’il leur arrive parfois encore de