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au reboisement ; mais on a dû y renoncer, parce que les effets obtenus ne répondaient pas suffisamment au but à atteindre, qui est la fixation des terres et la consolidation des berges. Ce n’est que dans les parties supérieures des montagnes, au-dessus de la zone forestière, que le gazonnement peut avoir quelque utilité, au point de vue de l’amélioration des pâturages, car c’est là seulement que les herbes forment de véritables pelouses. Plus bas, les plantes herbacées n’appartiennent plus aux mêmes espèces, elles végètent par touffes et ne protègent plus le sol ; et quand, pendant l’été, c’est-à-dire pendant la saison des orages, elles sont desséchées par le soleil, elles sont incapables d’opposer à l’action de l’eau la moindre résistance.

Tels sont les procédés au moyen desquels on est arrivé à éteindre quelques-uns des torrens les plus dangereux. Cela n’a pas été toutefois sans difficultés, car, le plus souvent, les communes se montrèrent très hostiles à ces travaux, qui restreignaient momentanément leur jouissance, et l’on a même dû, dans plusieurs circonstances, avoir recours à la force armée. Ce cas s’est notamment présenté lorsqu’il s’est agi du torrent de Vachères, l’un des plus grands et des plus violens des Alpes. Débouchant sur la rive gauche de la Durance, à 1,500 mètres en aval d’Embrun, ce torrent occupe le fond d’une grande vallée dont les versans ont environ 3,000 mètres d’altitude. Le bassin de réception, dont l’étendue n’a pas moins de 6,000 hectares, comprend plusieurs communes dont l’existence même est menacée au moment des crues. Celles-ci sont prolongées et terribles, surtout lorsque les neiges accumulées dans les parties supérieures fondent subitement sous l’action des pluies du printemps ; les eaux alors, coulant entre des berges de plus de 100 mètres de hauteur, qu’elles minent par le pied et qui s’écroulent avec fracas, entraînent avec elles des masses énormes de boues, de sable et de rochers, et se répandent dans la vallée de la Durance en détruisant les routes et les ponts et en formant un immense cône de déjection de plusieurs kilomètres d’étendue. Le sol de la montagne, crevassé de tous côtés, expose les cultures et les habitations à être entraînées par le courant. Il était impossible de laisser les choses dans cet état, et dès la promulgation de la loi on s’occupa de fixer le périmètre des terrains à reboiser et à consolider. Il semble qu’en présence des dangers qu’elles couraient les communes eussent dû se montrer favorables à cette opération ; il n’en fut rien. L’une d’elles, il est vrai, celle de Baratier, ne s’y montra pas hostile ; mais les deux autres, celle des Orres et celle de Saint-Sauveur, firent une opposition des plus vives. Néanmoins on passa outre et, dès 1864, les travaux commencèrent.