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que j’ai réclamé de nos confédérés tous les sacrifices que ma conscience me permettait de leur imposer, et que je ne saurais aller plus loin. » Le 15 novembre 1871, quand les unitaires à outrance proposèrent que toutes les monnaies allemandes fussent frappées à l’effigie de l’empereur, il leur répondit : « Vous me parlez de vos convictions, j’ai aussi les miennes et je passe ma vie à leur faire violence dans l’intérêt de l’état. Nous autres hommes de gouvernement, nous n’avons pas le droit de ne consulter que nos préférences et nos désirs. Ce n’est pas pour exercer de fâcheuses pressions sur nos confédérés que Dieu a donné à la Prusse la force dont il lui a plu de l’investir. En ma qualité de chancelier de l’empire, les sentimens personnels des monarques confédérés, surtout des plus puissans d’entre eux, ne me sont nullement indifférens, et celui qui n’en a cure n’est qu’un théoricien. Je dois compter avec ces sentimens, ils pèsent sur mes décisions. » Il cherchait à les consoler en insinuant que les moyens détournés conduisent plus sûrement au but, il les engageait à ne pas déranger ses combinaisons, il leur disait comme Archimède au soldat romain : Noli turbare circulos meos, — après quoi il leur rappelait que la logique n’est pas tout dans les affaires humaines, mais il ne les persuadait pas. Les conservateurs se résignaient en soupirant ; les libéraux, moins dociles, ne soupiraient pas, ils se fâchaient, et, obligés de céder, ils se promettaient de revenir à la charge. La logique s’arroge le droit d’être intraitable et se fait un de voir d’être indiscrète.

Mais ce n’est pas seulement l’Allemagne une et indivisible que réclamaient les libéraux ; ils aspiraient à inaugurer dans le nouvel empire le pur régime parlementaire, et c’est à quoi M. de Bismarck ne pouvait pas se prêter, leurs tentatives se sont heurtées contre d’inexorables refus. Ceux qui pensent qu’il se débarrasserait volontiers de son parlement lui font tort. Il consent à se laisser discuter, il accorde aux assemblées un certain droit d’inspection et de contrôle dans les affaires de l’état, il les autorise à voter le budget des dépenses, à examiner, à amender, à corriger les lois, il souffre même qu’elles le questionnent quand il lui plaît d’être questionné ; mais il n’admet pas que son existence dépende de leur bon plaisir, ni qu’elles se mêlent de faire ou de défaire des ministres. Ce sont les principes consacrés par la monarchie prussienne qu’il a introduits dans la charte de la confédération du Nord et de l’empire allemand, et cette fois il a eu pour lui l’assentiment des conservateurs. En Angleterre, le cabinet n’est qu’un comité du corps législatif ; en Prusse, il est le représentant du roi. En Angleterre, à la vérité, la chambre des communes ne choisit pas directement les ministres, mais elle les impose au choix du souverain ; en Prusse, le souverain les choisit au gré de ses intérêts et de ses convenances. En Angleterre, ils sont les serviteurs du parlement, et quand ils ont maille à partir avec ce maître capricieux et mobile, ils doivent résigner leurs