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de gouvernement, que pour apprendre aux enfans à nager, on commence par les jeter à l’eau. On pourrait lui répondre aussi que le régime qu’il combat a déjà réussi à s’acclimater dans une grande partie de l’Europe et qu’il tend à faire sans cesse de nouveaux progrès. C’est une contagion qui gagne de proche en proche ; l’Allemagne parviendra-t-elle à s’en préserver ? Elle possède aujourd’hui un grand homme d’état qui lui tient lieu de beaucoup de choses et qui lui interdit les expériences. Quand elle l’aura perdu, les expérimentateurs auront beau jeu ; ils invoqueront le courant du monde et de l’opinion, et il sera difficile de les tenir en échec. Il est des entraînemens auxquels on ne résiste pas.

Ce qu’il faut accorder à M. Jolly, c’est que l’expérience parlementaire ne pourra se faire en Allemagne sans y causer une crise dont les conséquences seront graves et peut-être funestes. Aux difficultés qu’il a signalées s’en joint une autre plus sérieuse encore, dont il n’a rien dit. Pour arriver à leurs fins, les libéraux devront à leurs risques et périls remanier la constitution, qui a placé à la tête de l’empire et au-dessus du Reichstag une sorte d’assemblée souveraine appelée le conseil fédéral. Cette assemblée se compose des représentans officiels des états confédérés, munis d’instructions qui les lient, d’un mandat impératif et d’un droit de veto absolu. « Le conseil fédéral, disait M. de Bismarck en 1871, est une véritable chambre des états, où siègent non des individus, mais les gouvernemens qu’ils représentent. Quand le baron de Friesen ouvre un avis, c’est un royaume qui parle par sa bouche, son vote est celui de la couronne de Saxe, ayant derrière elle le parlement saxon. Le respect qui est dû au vote de vingt-cinq états explique l’importance que possède le cons il fédéral et qui n’est pas celle d’une assemblée ordinaire : tout changement dans la constitution en vertu duquel cette chambre des états de l’empire allemand serait affaiblie, diminuée ou médiatisée me paraîtrait infiniment dangereux. Le conseil fédéral est un collège fédératif, chargé d’exercer la souveraineté collective de l’empire, car la souveraineté ne réside pas dans l’empereur, elle réside dans l’ensemble des gouvernemens confédérés. Je vous engage à ne pas toucher au conseil fédéral, je vois dans cette institution une sorte de palladium, une puissante garantie pour l’avenir de l’Allemagne. »

Les libéraux rêvent de donner la direction des affaires à un ministère impérial responsable devant le Reichstag ; ils ne pourraient exécuter leur projet sans porter une grave atteinte à la souveraineté du conseil fédéral et sans le réduire à la condition d’une simple chambre des lords. — « Croyez-vous, s’écriait M. de Bismarck dès 1867, qu’un prince allemand se résigne à échanger sa situation contre celle d’un simple pair ? » Il ajoutait quelques jours plus tard : « Ce que vous désirez, je n’oserais pas le demander au roi de Saxe. » — Quand il ne sera