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et purs m’étoient intimement connus ; je n’avois pas encore l’idée de ce que c’est qu’un gouvernement, et la conduite de celui de France me paraissoit la plus révoltante de toutes les injustices. » La mainlevée de la lettre de cachet, qui survint au bout de deux mois, ne suffit pas à l’apaiser, et elle écrivait à son mari, du château de Marolles, près de Fontainebleau, où elle avait été rejoindre ses parens :


Je te remercie, mon cher ami, de la lettre que tu m’as écrite par Mme de Beauvau ; j’étois déjà fâchée contre toi de ce que M. de Crillon ne m’avoit rien apporté de ta part. Tu vois bien que la reine ne s’est pas mieux conduite pour toi dans cette occasion que dans l’autre, car il étoit bien simple qu’elle te fît part de la levée de la lettre de cachet, et c’est un genre d’attention qu’il est bien naturel d’avoir et qui est même dans sa manière ordinaire pour tous ceux à qui elle veut plaire. Je crois donc qu’il est plus essentiel que jamais de te tenir en arrière ; mais si elle demande à te voir, de lui parler comme nous en sommes convenus, avec une grande noblesse pour mon père, faisant sentir que la fin de cet exil intéressoit plus la reine et le roi que mon père ; avec une grande peine de la froideur et de l’indifférence que la reine t’a personnellement montrées, et rappelant la discrétion que tu as eue en tout temps de ne jamais l’entretenir de mon père. Je sens que ce que je viens d’écrire, ménagé avec ta prudence, développant ce que je n’ai fait que t’indiquer, et surtout accompagnant tes discours d’un accent et d’une physionomie à la fois respectueuse et prononcée, seroit très bon à dire, si c’étoit elle qui t’eût fait demander de venir chez elle… Tu ne m’as pas répondu à ma lettre sur Fontainebleau. Si ton état, le caractère de t’on roi l’avoit permis, je t’avoue que je n’aurois plus remis le pied à Versailles après l’exil de mon père ; il m’eût été doux de me livrer à ma fierté en m’en bannissant pour toujours. Mais comme notre position rend cette résolution d’éclat impossible, je trouve qu’on n’annonce point le désir de plaire à la reine en lui faisant sa cour une fois ou deux et en passant quelques jours à jouir de la chasse et des spectacles qui, à mon âge, peuvent attirer sans qu’on me soupçonne d’intrigue ou d’amour de la faveur. D’ailleurs M. de Montmorin étant ton ministre, je serai plus agréablement à Fontainebleau cette année que du temps de ton Vergennes. Adieu, mon cher ami.


L’exil de M. Necker ne devait, par un retour facile à prévoir, précéder que de peu de temps sa rentrée aux affaires. La situation allait en s’aggravant chaque jour. Chacun commençait à comprendre, suivant l’expression du marquis de Mirabeau, « que le colin-maillard prolongé conduirait à la culbute générale. » Les dépêches de M. de Staël rendent à son souverain un compte fidèle de l’état des esprits, qu’il décrit avec beaucoup d’animation et de