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a depuis dix ans pour la France une politique générale de réserve à laquelle on ne pourrait manquer impunément, dont aucun ministre ne parait avoir songé sérieusement à se départir, M. Barthélémy Saint-Hilaire n’a eu ni à renier ce qui avait été fait avant lui, ni à désavouer les sympathies de la France pour la Grèce, ni à décliner les engagemens diplomatiques ou moraux de Berlin. Il s’est simplement borné à la tâche, déjà assez difficile, de rectifier des interprétations abusives, de dissiper des confusions, de remettre un peu d’ordre et de clarté dans les affaires grecques, et de tenter de reprendre avec l’Europe un travail de pacification. Il a dû faire œuvre de sage, de modérateur, même de censeur si l’on veut, et cette œuvre, il l’a accomplie dans une série de dépêches ou de circulaires un peu abondantes, un peu troublées, — toujours inspirées néanmoins d’un sentiment de juste et patriotique prévoyance.

Bien n’est plus pénible sans doute que d’avoir à dissiper les illusions, à décourager les espérances d’un peuple auquel on s’intéresse. Ce rôle ingrat, M. le ministre des affaires étrangères n’a point hésité à l’accepter vis-à-vis du cabinet d’Athènes. Malheureusement la Grèce, soit qu’elle ait été encouragée, soit qu’elle n’ait obéi qu’à sa propre inspiration, la Grèce s’est accoutumée, depuis quelque temps, aux plus étranges interprétations du traité de 1878, des délibérations de la dernière conférence ; elle en est venue à cette idée, qui lui met en ce moment les armes dans les mains, que l’Europe est liée envers elle, qu’on lui doit les territoires promis à son ambition, qu’il suffira vraisemblablement d’un coup de tête pour entraîner l’Occident à lui prêter appui. Ce sont ces abus d’imagination que M. le ministre des affaires étrangères ne craint pas de rudoyer d’une vive et pressante parole, en ramenant les traités à leur vrai sens, en montrant aux Grecs que les actes de la dernière conférence peuvent être un « conseil amical, » une tentative de médiation bienveillante, qu’ils sont un « titre précieux, » nullement un « titre irréfragable » et définitif, ayant valeur et force obligatoires. M. Coumoundouros s’offense et s’indigne dans une circulaire d’hier, c’est possible : il ne détruit pas ce qui est évident ? on ne saurait surtout établir une analogie plausible entre le Danemark attaqué autrefois dans son territoire, dans son indépendance, livré au péril d’un démembrement, et la Grèce, brûlant de se jeter sur des territoires qui appartiennent à la Turquie, menacée tout au plus de n’avoir qu’un agrandissement modéré. Et en même temps que M. le ministre des affaires étrangères, au risque de s’attirer les philippiques de M. Coumoundouros, fait entendre à Athènes le langage d’une raison cordiale et ferme, il se tourne vers les chefs de la diplomatie européenne pour leur demander de reprendre en commun, sous une autre forme, l’œuvre de conciliation interrompue, singulièrement menacée aujourd’hui. Il a proposé cet arbitrage qui a fait le tour de l’Europe et des chancelleries