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sieur Lambert étant vacante par sa démission, nous avons jugé ne pouvoir faire un meilleur choix que celui de votre personne pour administrer un département aussi important au bien de notre royaume. Les preuves que vous nous avez déjà données de votre zèle pour le bien de notre service nous persuadent que vous répondrez dignement à la confiance dont nous vous honorons. À ces causes et autres à ce nous mouvant, nous vous commettons, ordonnons et établissons pour, en qualité de directeur-général de nos finances, nous en rendre compte, avoir entrée, séance, voix et opinion délibérative en notre conseil royal des finances et pour vous jouir et user de la ditte commission aux honneurs, autorités et pouvoir qui y appartiennent sur le fait de nos finances.


La nomination de M. Necker fut saluée d’un bout à l’autre de la France par un long cri de joie. Ceux que M. Necker devait retrouver plus tard sur les bancs de l’Assemblée constituante parmi ses adversaires les plus violens se signalaient des premiers par leur enthousiasme, et peut-être ne lira-t-on pas sans curiosité la lettre suivante du fougueux abbé Maury, qui devait plus tard diriger contre M. Necker les traits de son amère et incisive éloquence :


Saint-Brice, 11 septembre.

Je fus l’un des premiers, madame, et certainement l’un des plus sincères de tous les empressés qui accoururent chez vous dès que j’appris la grande nouvelle que j’attendois depuis si longtemps et que j’avois osé vous prédire tant de fois. Il n’y eut bientôt plus moyen de se faire remarquer par l’hommage de sa joie. Je respectai vos embarras ; je n’aspirai plus qu’au mérite de la discrétion et je quittai Paris au moment où le public commençoit à se faire honneur dans mon esprit, ce qui ne lui arrive pas souvent. Je me serois contenté de parler sans cesse de vous et du grand homme dont vous êtes la digne moitié, sans vous importuner de mes félicitations, et j’aurois été tout près de ne vous faire ma cour qu’à la Toussaint. Mais il n’y a pas moyen de suivre un plan si sublime. Le superbe ouvrage[1] de M. Necker que je viens de lire avec autant de respect que d’admiration ne me permet plus de conserver tant de dignité avec un ministre dont la gloire et le génie vont faire le bonheur habituel de ma vie. C’est le triomphe de la vertu, de la dialectique et de l’éloquence. Jamais on ne donna tant d’intérêt au calcul, jamais personne ne s’est élevé à cette hauteur en montrant son âme et ses principes. M. Necker n’auroit pas pu prendre un autre ton, désirer une plus parfaite mesure, s’il eût prévu que son apologie

  1. M. Necker avait fait imprimer en réponse aux attaques de M. de Calonne un second Mémoire, qui ne parut, en effet, qu’après son entrée au ministère.