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responsabilité de ceux qui ont ébranlé imprudemment un pouvoir dont ils ne souhaitaient pas la chute, ou qui ne sont pas venus assez tôt à son secours. Mais que dire de ceux qui, dans l’assemblée constituante, unissaient constamment leurs votes à ceux des jacobins dans l’espérance que le bien sortirait de l’excès du mal, ou qui par delà les frontières s’associaient à des provocations dont le péril retombait sur d’autres têtes que les leurs ? À vrai dire, je n’aperçois entre eux qu’une différence ; c’est que les premiers ont eu parfois l’ingénuité de convenir de leurs fautes, tandis qu’on attend encore la confession des autres et qu’ils n’ont jamais pris la parole ou la plume que pour injurier leurs adversaires.

Parmi les nombreux reproches dirigés contre M. Necker, je dois convenir cependant qu’il en est un qui paraît fondé, c’est celui que lui adresse Malouet d’avoir abordé les états-généraux sans aucun plan arrêté et d’avoir attendu leur impulsion au lieu de leur imprimer la sienne. Dans ses Considérations sur la révolution française, Mme de Staël explique cette abstention de M. Necker par le scrupule d’empiéter sur une initiative qui devait appartenir, selon lui, aux mandataires de la nation. Mais cette raison dont se contentait la piété filiale de Mme de Staël dissimule mal le côté faible de M. Necker : une irrésolution dans les grandes circonstances, qui tenait en grande partie à ce que la sagacité de l’esprit lui faisait apercevoir en même temps les inconvéniens comme les avantages de chaque détermination sans que la fermeté du caractère vînt jeter à temps le poids décisif dans un des plateaux de la balance. Quelques années plus tard, lorsque l’éclatante figure de Bonaparte commença d’attirer les regards du monde, ce que M. Necker admirait surtout chez lui, « c’était une superbe volonté, qui saisit tout, règle tout et qui s’étend ou s’arrête à propos. C’est la première qualité, ajoutait-il, pour gouverner en chef un grand empire. On finit par considérer cette volonté comme un ordre de la nature, et toutes les oppositions cessent. » N’était-ce point, comme cela arrive souvent, la faculté dont il se sentait dépourvu que M. Necker admirait le plus chez Bonaparte ? Ce n’est pas à dire cependant que, si M. Necker eût été doué de cette superbe volonté, il lui aurait été donné de saisir tout, de régler tout, et que toutes les oppositions se seraient inclinées devant cette volonté comme devant une loi de la nature. Il aurait encore fallu, et c’eût été une tâche difficile, associer à cette volonté le monarque infortuné chez lequel l’excès du malheur ne devait développer que la grandeur morale. Or à cette tâche M. Necker n’aurait probablement pas mieux réussi au début que Marie-Antoinette, dont on connaît aujourd’hui les désespoirs, ne devait réussir plus tard, et parfois même l’indécision du roi vint mettre un obstacle aux décisions de son ministre. Malouet rapporte sur