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maison où habiteront nos fils ; — c’est une des conséquences de la transformation qui s’accomplit dans l’esprit humain depuis le siècle dernier.

Jusqu’alors, la métaphysique avait été la reine du monde ; l’antiquité, le moyen âge, les siècles modernes lui avaient remis docilement la direction des esprits ; elle gouvernait la pensée, l’inquiétait ou l’apaisait en maîtresse absolue. Ce gouvernement est aujourd’hui menacé par l’indifférence générale ; les métaphysiciens qui luttent pour lui avec courage et talent m’accorderont qu’ils n’ont plus la créance du monde. En France au moins, un Descartes ou un Hegel pourrait apparaître avec un système de la raison pure, bien peu de gens tourneraient la tête : on n’a plus souci de ces spéculations, tout en plaçant très haut, par habitude, ceux qui s’y consacrent. En revanche, voici un naturaliste, un chimiste, un médecin, qui apportent un fait positif, d’où l’on peut conclure une loi générale : tout ce qui pense s’émeut ; on sent bien que ceux-ci tiennent la bonne route, eux et non d’autres ; ce sont les maîtres nouveaux de qui nous attendons notre avancement intellectuel. En faveur des sciences physiques et naturelles, le courant est déjà irrésistible ; il a bien fallu remettre à ces sciences le gouvernement d’un monde dont elles ont changé la face, les conditions mêmes d’habitabilité. En ce qui touche les sciences morales, le mouvement est moins prononcé ; cependant la plupart d’entre nous attendent désormais de l’histoire, et uniquement de l’histoire, ce que nos pères demandaient à la philosophie : une formule de l’homme et de ses destinées, une raison de croire et d’espérer. Pour satisfaire à nos exigences, l’histoire a dû changer ses méthodes : au lieu d’un thème à variations éloquentes, elle est devenue une science exacte, cherchant, elle aussi, des faits nouveaux, positifs, » pour en conclure des lois générales. Plus nous irons, plus on trouvera de similitude entre les procédés, les efforts et les résultats de ces sciences sœurs : celles de la nature, appuyées sur l’analyse des phénomènes, tendent à établir l’unité de substance et de force ; trompés par la diversité des effets, nous avions multiplié les noms de la force ; nous pressentons déjà et nos héritiers verront clairement qu’elle est une, qu’elle est la loi, présidant majestueusement à la vie universelle. Ce jour-là il se fera un grand calme chez les hommes ; ils se comprendront tous en disant : a Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu. »

L’histoire marche vers le même but. Elle a une connaissance suffisante des temps qui ont immédiatement précédé le nôtre, son grand travail est désormais de reculer la recherche des origines ; elle ressuscite les témoins lointains et soumet leurs dépositions à