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avec une hardiesse extrême et un complet mépris de la hiérarchie. Malgré les sages interdictions de Paul contre la participation des femmes aux exercices prophétiques et extatiques de l’église, Priscille et Maximille ne reculèrent pas devant l’éclat d’un ministère public. Il semble que l’inspiration individuelle ait eu cette fois, comme d’ordinaire, pour compagnes la licence et l’audace. Priscille a des traits qui la rapprochent de sainte Catherine de Sienne et de Marie Alacoque. Un jour, à Pépuze, elle s’endormit et vit le Christ venir vers elle, vêtu d’une robe éclatante et ayant l’apparence d’une femme. Christ s’endormit à côté d’elle, et, dans cet embrassement mystérieux, lui inocula toute sagesse. Il lui révéla en particulier la sainteté de la ville de Pépuze. Ce lieu privilégié était l’endroit où la Jérusalem céleste, en descendant du ciel, viendrait se poser. Maximille prêchait dans le même sens, annonçait d’atroces guerres, des catastrophes, des persécutions. Elle survécut à Priscille et mourut en soutenant qu’après elle il n’y aurait plus d’autre prophétie jusqu’à la fin des temps.

Ce n’était pas seulement la prophétie, c’étaient toutes les fonctions du clergé que cette chrétienté bizarre prétendait attribuer aux femmes. Le presbytérat, l’épiscopat, les charges de l’église à tous les degrés leur étaient dévolus. Pour justifier cette prétention, on alléguait Marie sœur de Moïse, les quatre filles de Philippe, et même Eve, pour laquelle on plaidait les circonstances atténuantes et dont on faisait une sainte. Ce qu’il y avait de plus étrange dans le culte de la secte, était la cérémonie des pleureuses ou vierges lampadophores, qui rappelait à beaucoup d’égards les « réveils » protestans d’Amérique. Sept vierges portant des flambeaux, vêtues de blanc, entraient dans l’église, poussant des gémissemens de pénitence, versant des torrens de larmes et déplorant, par des gestes expressifs, la misère de la vie humaine. Puis commençaient les scènes d’illuminisme. Au milieu du peuple, les vierges étaient prises d’enthousiasme, prêchaient, prophétisaient, tombaient en extase. Les assistans éclataient en sanglots et sortaient pénétrés de componction.

L’entraînement que ces femmes exercèrent sur les foules, et même sur une partie du clergé, fut extraordinaire. On allait jusqu’à préférer les prophétesses de Pépuze aux apôtres et même à Christ. Les plus modérés voyaient en elles ces prophètes prédits par Jésus comme devant achever son œuvre. Toute l’Asie-Mineure fut troublée. Des pays voisins, on venait pour voir ces phénomènes extatiques et pour se faire une opinion sur la réalité du prophétisme nouveau. L’émotion fut d’autant plus grande que personne ne rejetait a priori la possibilité de la prophétie. Il s’agissait seulement de savoir si celle-ci était réelle. Les églises les plus lointaines,