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retraite dans l’espérance du dernier jour. Même pour la cène, ils ne se servaient, comme certains ébionites, que de pain et d’eau, de fromage, de sel. Les disciplines austères sont toujours contagieuses dans les foules, car elles rendent le saint certain à bon marché et sont faciles à pratiquer pour les simples de bonne volonté, qui ne se sentent pas capables de haute spiritualité. De toutes parts, ces pratiques se répandirent ; elles pénétrèrent jusque dans les Gaules avec les Asiates qui remontaient en nombre si considérable la vallée du Rhône ; un des martyrs de Lyon, en 177, s’y montrait attaché jusque dans sa prison, et il fallut le bon sens gaulois ou, comme on crut alors, une révélation directe de Dieu pour l’y faire renoncer.

Ce qu’il y avait de plus fâcheux, en effet, dans les excès de zèle de ces ardens ascètes, c’est qu’ils se montraient intraitables contre tous ceux qui ne partageaient pas leurs simagrées. Ils ne parlaient que du relâchement général. Comme les flagellans du moyen âge, ils trouvaient dans leurs pratiques extérieures un motif de fol orgueil et de révolte contre le clergé. Ils osaient dire que, depuis Jésus, au moins depuis les apôtres, l’église avait perdu son temps et qu’il ne fallait plus attendre une heure pour sanctifier l’humanité et la préparer au règne messianique. L’église de tout le monde, selon eux, ne valait pas mieux que la société païenne. Il s’agissait de former dans l’église générale une église spirituelle, un noyau de saints, dont Pépuze serait le centre. Ces élus se montraient hautains pour les simples fidèles. Thémison déclarait que l’église catholique avait perdu toute sa gloire et obéissait à Satan. Une église de saints, voilà leur idéal, bien peu différent de celui de pseudo-Hermas. Qui n’est pas saint n’est pas de l’église. « L’église, disaient-ils, c’est la totalité des saints, non le nombre des évêques. »

Rien n’était plus loin, on le voit, de l’idée de catholicité qui tendait à prévaloir et dont l’essence était de tenir les portes ouvertes à tous. Les catholiques prenaient l’église telle qu’elle est, avec ses imperfections ; on pouvait être pécheur sans cesser d’être chrétien. Pour les montanistes, ces deux termes étaient inconciliables. L’église doit être aussi chaste qu’une vierge ; le pécheur en est exclu par son péché même et perd dès lors toute espérance d’y rentrer. L’absolution de l’église est sans valeur. Les choses saintes doivent être administrées par les saints. Les évêques n’ont aucun privilège en ce qui concerne les dons spirituels. Seuls, les prophètes, organes de l’Esprit, peuvent assurer que Dieu pardonne. Grâce aux manifestations extraordinaires d’un piétisme extérieur et peu discret, Pépuze et Tymium devenaient, en effet, des espèces de villes saintes. On les appelait Jérusalem, et les sectaires voulaient qu’elles fussent le centre du monde. On y venait de toutes