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l’église eût été altéré. Ce qui distingue, en effet, l’église de la mosquée et même de la synagogue, c’est que la femme y entre librement et y est sur le même pied que l’homme, quoique séparée ou même voilée. Il s’agissait de savoir si le christianisme serait, comme le fut plus tard l’islamisme, une religion d’hommes, d’où la femme est à peu près exclue. L’église catholique n’eut garde de commettre cette faute. La femme eut des fonctions de diaconie dans l’église et y fut avec l’homme dans des rapports subordonnés, mais fréquens. Le baptême, la communion eucharistique, les œuvres de charité entraînaient de perpétuelles dérogations aux mœurs de l’Orient. Ici encore l’église catholique trouva le milieu entre les exagérations des sectes diverses avec une rare justesse de tact.

Ainsi s’explique ce mélange singulier de pudeur timide et de dangereux abandon qui caractérise le sentiment moral dans les églises primitives. Loin d’ici les vils soupçons de débauchés vulgaires, incapables de comprendre une telle innocence ! Tout était pur dans ces saintes libertés ; mais aussi qu’il fallait être pur pour pouvoir en jouir ! La légende nous montre les païens jaloux du privilège qu’a le prêtre de voir un moment dans sa nudité baptismale celle qui, par l’immersion sainte, va devenir sa sœur spirituelle[1]. Que dire du « saint baiser, » qui fut l’ambroisie de ces générations chastes ; de ce baiser qui, comme le consolamentum des cathares[2] était un sacrement de force et d’amour, et dont le souvenir, mêlé aux plus graves impressions de l’acte eucharistique, suffisait durant des jours à remplir l’âme d’une sorte de parfum ! Pourquoi l’église était-elle si aimée, que, pour y rentrer quand on en était sorti, on allait au-devant de la mort ? Parce qu’elle était une école de joies infinies. Jésus était vraiment au milieu des siens. Plus de cent ans après sa mort, il était encore le maître des voluptés savantes, l’initiateur des secrets transcendans.


ERNEST RENAN.

  1. Voir, dans les manuscrits et les éditions xylographiques, les miniatures représentant le baptême de Drusiana. (Didot, les Apocalypses figurées, p. 51-52.) Les païens regardent par les trous de la porte, d’une manière qui implique un soupçon ou du moins un sentiment de jalousie contre le ministre du sacrement.
  2. Schmidt, Histoire des cathares, II, p. 119 et suiv.