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une vieille grille en fer, qui devait autrefois fermer un pont-levis, la sépare du parc. Cette grille est flanquée de deux grosses tours, dont l’une est moderne, mais dont l’autre (qui est précisément la tour des archives), atteste son ancienneté par l’épaisseur de ses murailles et cache dans ses soubassemens un gros pilier muni d’un anneau en fer, auquel on attachait autrefois les prisonniers. D’une longue galerie située au rez-de-chaussée où M. Necker installa sa bibliothèque en attendant qu’elle devint un jour la salle de spectacle, on n’aperçoit d’autre vue que les sommets d’une rangée de platanes, dont le feuillage épais cache les maisons du village. Mais du balcon qui court le long des fenêtres du premier étage, on découvre un paysage qu’on n’oublie point et dont l’attrait ramène souvent à Coppet ceux qui l’ont une fois contemplé, de même que, suivant une croyance populaire, l’eau de la fontaine Trévi ramène à Rome ceux qui ont une fois trempé leurs lèvres dans ses ondes. À droite, la ville de Genève, tantôt disparaissant à midi dans le miroitement du soleil dont les rayons se reflètent dans ses clochers de zinc, tantôt dessinant vers le soir la ligne de ses maisons blanches sur le ciel rougeâtre ; vis-à-vis la côte de Savoie, la lourde masse des Voirons étalant ses pentes entrecoupées de bois de sapins et de pâturages, le château de Beauregard, dont l’aspect sévère semble fait pour servir de cadre à cette mâle figure d’un Homme d’autrefois, si bien décrite par son arrière-petit-fils, et rappelle en face de Coppet les souvenirs d’un monde si différent ; à gauche, enfin le lac, le beau lac dans toute son étendue, déployant vers Lausanne la nappe unie de ses eaux bleues. Cependant celui qui, sans pénétrer dans la maison, aurait dirigé ses pas vers le parc, attiré par l’ombre et la fraîcheur, celui-là pourrait en s’y promenant se croire à cent lieues du lac et des montagnes. Deux grandes allées droites, derniers vestiges d’un parterre à la française, lui diraient que ce parc a été dessiné dans un temps où l’on ne regardait point autour de soi, et où l’on cherchait surtout dans la promenade le plaisir de la conversation à l’ombre. Aussi s’étonnerait-il moins que de grands arbres, ces arbres que Mme de Staël appelait des « amis témoins de sa destinée, » ferment la vue de tous côtés, et laissent à peine apercevoir par quelques rares percées les pentes violettes du Jura. Ce qu’était au reste, il y a cent ans, le château de Coppet, il l’est encore aujourd’hui, car pas une pierre n’en a été changée. Sans doute bien des habitations plus modernes élèvent sur les coteaux qui avoisinent le lac des constructions plus somptueuses, ou déroulent vers ses bords des pelouses plus riantes. Mais lorsque, les yeux encore éblouis ou charmés, on pénètre dans cette cour intérieure silencieuse et sombre, lorsqu’on franchit