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elle s’efforçait de venir à leur secours. À peine arrivée à Coppet, elle s’était ingéniée à trouver un nouveau moyen de leur être utile. Laissons-la, dans une lettre, exposer elle-même en quoi consistait ce moyen auquel plus d’un Français a dû la vie :


Tout le secret de cette entreprise suisse est fort simple. On choisit une femme dont le signalement est pareil, elle prend un passeport pour aller et revenir de Paris pour une affaire de commerce ; la femme Suisse va à Paris, fait viser son passeport en entrant à la frontière, va à sa section et à la commune de Paris faire apposer des visa pour repartir et cède son passeport, son extrait de baptistaire, ses lettres de bourgeoisie, tous ses papiers qui l’attestent Suisse, à la dame qu’on veut sauver. En passant par une autre route, rien ne peut faire qu’on suit arrêté ; il n’y a pas eu encore d’exemple d’un tel malheur, mais dans ce cas même, j’ai promesse d’un excellent homme, qui commande le cordon de la frontière suisse, de réclamer comme Suisse, et telle est la singulière coquetterie des François pour les Suisses qu’ils ont relâché et renvoyé, sur la demande d’une simple commune, un homme qui avoit un passeport suisse si mal arrangé qu’il étoit impossible de n’être pas sûr qu’il étoit François.

Ce moyen peut s’épuiser si on ne l’employoit que dans un an ; mais, soit qu’ils l’ignorent, soit qu’ils soient bien aises qu’on se déporte soi-même, il n’y a pas un mot de dit nulle part qui puisse inquietter. Je l’ai inventé la première fois pour Matthieu et François[1]. Ce secret très simple, depuis les Lyonnais s’en sont servis et il n’a jamais manqué. Il est impossible de vous prouver que vous n’êtes pas Suisse, surtout quand vous avez un compagnon vraiment suisse qui vous protégé. La femme suisse envoyée cache dans sa poche ou se fait envoyer sûrement un passeport non visé sur lequel elle contrefait comme elle peut les visa de la frontière, retourne à la commune après le départ de la dame et n’est pas reconnue en changeant de costume et présentant un autre nom suisse. Véritablement elle ne craint rien, ou du moins court un risque pour de l’argent comme la moitié du monde. Un homme est moins cher à sauver parce qu’on n’envoyé qu’un homme et que pour une femme il faut l’homme et la femme.


La lettre dont on vient de lire un fragment était adressée à la princesse d’Hénin, que nous allons voir jouer un rôle assez actif dans la généreuse entreprise de Mme de Staël. La princesse d’Hénin appartenait au petit groupe de ces femmes qui, dans des

  1. Il s’agit ici du vicomte Mathieu, depuis duc de Montmorency, qui fut l’ami de Mme Récamier, et du comte François-de Jaucourt, qui fut un instant ministre sous la restauration.