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Mme de Simiane avoit été, dit la vicomtesse de Noailles, la plus jolie personne de son temps. Je n’ai jamais entendu parler des succès de sa figure à ceux qui en avoient été témoins sans une sorte d’enthousiasme. Quelqu’un disoit qu’il étoit impossible de la recevoir sans lui donner une fête. Lorsque je l’ai vue, elle n’étoit plus jeune et moi j’étois enfant ; cependant j’ai compris son effet. C’est tout simple ; elle avoit été la plus jolie des femmes, elle en étoit aussi la meilleure, et, jusqu’à son dernier jour, sa bonté solide, assaisonnée d’une envie de plaire constante, a produit autour d’elle une sorte d’effet magique.

Mme de Simiane avait fait partie, avant la révolution, de la petite société qui se réunissait à l’ambassade de Suède, et nous allons voir Mme de Staël, dans la suite de sa correspondance avec la princesse d’Hénin, partager sa sollicitude entre elle et la princesse de Poix.


Lausanne, ce 17 juin.

Je vous envoye une lettre toute entière qui contient beaucoup de détails qui ne vous regardent pas, mais je veux que vous voyez les propres paroles. Celui qui l’écrit et a trouvé le moyen de me la faire parvenir sûrement, c’est un jeune homme de ce pays-ci qui ne veut pas recevoir un sol en argent et s’est seulement pris d’un beau sentiment pour moi. Mme de Simiane l’a donné à Mme de Poix, et depuis ce moment, c’est-à-dire depuis six semaines, il la voit de tems en tems, et c’est le seul homme dont elle se sert pour avoir des nouvelles. Il n’est pas soupçonné, ce jeune homme ; mais son courage me fait trembler. C’étoit l’ami de Mme de Simiane avant que je le visse ; je l’ai reçu d’elle, mais je ne lui écris que pour le rendre prudent. Vous voyez que dans le commencement de sa lettre il me dit pusillanime.

Je continue mes notes sur cette lettre. Stomberg, c’est François de Jaucourt, avec qui il est personnellement lié ; les conducteurs qu’il nomme sont, en effet, des hommes sûrs, par qui l’on peut communiquer, mais comme ils sont François, je ne m’en suis jamais servie. Le libraire, c’est l’homme envoyé pour Mme de Noailles ; je ne lui avois pas donné l’adresse de mon Suisse, parce que je ne voulois pas qu’il parlât à Mme de Poix ; elle a voulu le voir. Je n’ai pas besoin de vous dire qui est la noble et généreuse amie. Ce qui me fait le plus de peine, c’est que de bouche elle m’a fait dire que ses femmes de chambre étoient jacobines, ce qui mettoit encore un obstacle au seul projet raisonnable, le départ. Ah ! croyez-moi, c’est avec désespoir que je renonce à ce projet, oui, avec désespoir. On peut encore prendre la poste à quelque distance de