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mais, je te l’avoue, je prie mon Dieu, ce Dieu que j’adore et que j’ai servi sans restriction dès ma plus tendre enfance, je le prie, je le conjure de me faire mourir avant toi, et dans tes bras. Dieu seul juge du degré de malheur que tes créatures peuvent supporter, tu sçais quel sentiment accompagne cette prière et je crois qu’elle ne sera pas rejetée.


Mme Necker surmontait cependant cette honneur pour régler elle-même avec un soin minutieux tous les préparatifs de sa fin. Parmi les papiers en assez grand nombre qu’elle laissait à son mari, il en était dont les recommandations méritaient à ses yeux un respect particulier. Mme de Staël, dans sa notice sur la vie privée de M. Necker, a parlé de ces dernières volontés de sa mère, mais peut-être sans faire assez ressortir ce qu’il y eut de touchant dans leur bizarrerie. Quelques détails plus intimes montreront à quel point cette femme, si froide d’apparence, qui semblait résolue à diriger sa vie par règle et par compas, était cependant dominée par la passion et par une imagination maladive.

Durant les années où elle avait dirigé l’hospice qui porte aujourd’hui son nom, Mme Necker avait été singulièrement frappée du danger des inhumations précipitées. La loi ne prenait pas alors, à l’encontre de ces inhumations, les précautions, peut-être encore insuffisantes, qu’elle impose aujourd’hui. Ce n’était pas sans peine que Mme Necker avait réussi à obtenir de ceux et de celles qui desservaient l’hôpital sous ses ordres des précautions que nous considérerions aujourd’hui comme élémentaires. La nécessité de ces précautions l’avait si fort frappée qu’elle publia une petite brochure intitulée : des inhumations précipitées, et elle terminait cette brochure en proposant un projet de règlement dont plusieurs dispositions sont en vigueur aujourd’hui. Cette préoccupation qu’elle avait ressentie si vivement pour les autres, il était naturel que Mme Necker l’éprouvât pour elle-même. Être enterrée vivante était une de ses craintes, et dans ses recommandations dernières, elle multipliait les injonctions de reculer la cérémonie funèbre jusqu’au moment où sa mort ne pourrait laisser aucun doute. Mais ce n’était pas tout. La destinée inévitable du corps humain confié à la terre, cette destinée que Bossuet décrit dans l’oraison funèbre de Madame en termes si précis, lui causait une invincible horreur. Elle voulait que, par quelqu’un de ces procédés dont l’antiquité faisait un si fréquent usage, la forme terrestre fût indéfiniment conservée à sa dépouille mortelle. En un mot, elle souhaitait passionnément que son corps fût embaumé et qu’il reposât dans un monument spécial où il demeurerait à visage découvert. Ce désir singulier n’avait