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souffrances cruelles. D’affreuses agitations troublaient ses nuits et ne lui permettaient pas de trouver le sommeil. Parfois, épuisée par la fatigue, elle s’endormait presque subitement au milieu de la journée, la tête sur le bras de son mari. « J’ai vu mon père, racontait Mme de Staël, rester immobile des heures entières, debout dans la même position, de peur de la réveiller en faisant le moindre mouvement. » Parfois, au contraire, ne pouvant goûter aucun repos, elle cherchait un adoucissement à ses souffrances dans le goût qu’elle avait pour la musique. Un soir que Mme de Staël s’était mise au piano sur la demande de sa mère, elle chanta par hasard le bel air d’Œdipe à Colone de Sacchini :


Elle m’a prodigué sa tendresse et ses soins,


mais elle fut obligée de s’arrêter en voyant l’émotion que le rapport trop direct de ces tristes paroles avec son affliction présente causait à M. Necker. Jusqu’à la veille de la mort de Mme Necker, le son d’instrumens placés dans une chambre voisine berça ses souffrances et son agonie. Le sentiment qui lui faisait trouver quelque soulagement dans ce mélancolique plaisir n’était cependant pas celui qui a inspiré ces vers tristes et charmans :


Vous qui veillerez sur mon agonie,
Ne me dites rien ;
Faites que j’entende un peu d’harmonie
Et je mourrai bien.

Je suis las des mots, je suis las d’entendre
Ce qui peut mentir.
J’aime mieux les sons qu’au lieu de comprendre
Je n’ai qu’à sentir,

Une mélodie où le cœur se plonge,
Et qui, sans efforts,
Me fera passer du sommeil au songe,
Du songe à la mort.


Jamais la croyance de Mme Necker dans les paroles et dans les promesses divines n’avait été plus ferme. Elle ne s’élevait point, il est vrai, à la hauteur de ces joies mystiques qui peuvent sembler admirables aux yeux de la foi, mais qui froissent un peu la nature. « Je crains la mort, disait-elle à son mari, car j’aimois la vie avec toi. » Lorsque M. Necker n’était pas dans la chambre, elle adressait à haute voix des prières à Dieu pour lui demander le courage d’accepter cette séparation, et elle ne se doutait pas que, par la fenêtre de la chambre voisine, M. Necker entendait sa voix et