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mysticisme, de tout romantisme politique ou religieux ; à cet égard, il était fort différent de la plupart de ses amis des cercles slavophiles de Moscou, au milieu desquels il avait passé sa première jeunesse et dont il avait subi l’ascendant sans prendre toutes leurs idées. Par son énergie, son activité, son sang-froid, par la décision de son intelligence, de sa volonté, de sa parole et aussi peut-être par son dédain des obstacles et sa confiance dans ses forces, le prince Vladimir Alexandrovitch était visiblement fait pour des fonctions difficiles et une tâche contestée, exigeant plutôt de la vigueur, de la persévérance, de l’inflexibilité que de la modération, de la finesse, de la conciliation. Fier et entier dans ses opinions, peu propre à un rôle subalterne ou passif, Tcherkasski, à l’inverse de la plupart de ses contemporains, n’était pas, en sortant de l’université, entré au service de l’état. Il avait vécu sur ses terres des gouvernemens de Toula et de Tver ou dans sa maison de Moscou, critiquant dans les salons les erremens du gouvernement de Nicolas, en attendant qu’un nouveau règne ou un changement de régime vînt lui ouvrir l’accès d’une vie plus active. Les luttes de l’émancipation l’avaient mis en vue, la Pologne lui offrait l’occasion d’occuper un poste important et des fonctions à la fois conformes à ses idées et à son caractère ; le prince Vladimir Alexandrovitch devait saisir volontiers cette occasion de jouer, à côté de son ami Milutine, un rôle militant dans les grandes affaires, sans avoir eu à passer comme d’habitude par la longue et fastidieuse filière bureaucratique.

Milutine et lui se partagèrent la besogne. Pour appliquer les lois nouvelles, il fallait d’abord avoir le champ libre en Pologne, contre-carrer, à Varsovie et à Pétersbourg à la fois, les menées des adversaires, qui comptaient bien réparer peu à peu dans les détails de l’exécution leur défaite du comité. Milutine, qui avait une particulière aversion pour le séjour de Varsovie, qui, de plus, était personnellement connu du souverain et que ses services passés comme ses titres officiels rendaient l’égal des hauts fonctionnaires de la capitale, Milutine, sauf de trop fréquens voyages en Pologne, resta au centre des affaires et des intrigues, à Pétersbourg, tandis que Tcherkasski, qui, pour l’intelligence comme pour la communauté des vues, pouvait être appelé son alter ego, s’établissait au cœur des provinces à réorganiser, à Varsovie, à côté du vice-roi et de l’adversaire secret, le comte de Berg.

En quittant la capitale de l’empire pour prendre sa résidence dans celle du royaume, le prince Tcherkasski débarrassait les hommes d’état pétersbourgeois du voisinage d’un concurrent éventuel dont la présence ne laissait pas que de leur être importune. Peut-être cette considération a-t-elle facilité la nomination du prince