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pénible encore sans cette distraction forcée du travail qui vous enlève à vous-même. Je suis à peine arrivé ici et je fais des projets de retour. Je voudrais voir passer au plus vite ces six douloureuses semaines, j’espère que ce dur esclavage ne durera pas plus longtemps. A Vilna, j’ai passé toute la journée avec Mouravief et ses employés. Notre explication a été calme, et nous nous sommes quittés d’accord. Ici les autorités m’attendaient à la gare avec une voiture. Après avoir installé à la hâte mes compagnons au château Bruhl, je me suis immédiatement rendu chez le comte Berg, qui m’attendait pour dîner. La proclamation de l’ukase a partout réussi. Les renseignemens sur les paysans sont excellens. Les propriétaires, comme il fallait s’y attendre, sont furieux ; mais on les dit fort préoccupés de l’indemnité à recevoir du gouvernement, et bon gré mal gré ce souci les oblige à se tenir tranquilles… Tout cela amène le comte Berg à voir la situation en rose, et par ce motif nos délibérations ont été très amicales. On ne saurait cependant compter que les choses se passeront d’une façon parfaitement paisible. Une chose qui excite particulièrement le mécontentement, c’est que les woyt soient pris parmi les paysans[1]. Les Polonais m’ont donné le surnom de « président de la junte des paysans[2], » ce qui, du reste, ne m’offense pas du tout !…


Varsovie (château Bruhl), 12/24 mars 1864[3].

« L’affaire marche lentement, comme toujours dans les commencemens. Nos nouvelles recrues nous arrivent tardivement. Même C. ne paraît pas encore, je ne sais pourquoi. Tcherkasski est absorbé par la prise de possession de ses nouvelles fonctions, et, en réalité, sa tâche n’est pas facile ; il est comme dans un bois, il lui faut faire connaissance et avec les hommes et avec les choses. Hier il a reçu tous ses employés et leur a fait un discours en russe. Il va sans dire que tous se prosternent à ses pieds. Quoiqu’il habite encore le château Bruhl (pendant qu’on prépare sa demeure future), nous ne nous voyons presque pas, de sorte que c’est sur moi seul que retombe le soin d’organiser le comité constituant[4] et de distribuer le travail, etc.

  1. Sur ce point encore, Milutine et ses amis avaient appliqué à la Pologne les mêmes principes et le même système qu’à la Russie. Pour mieux assurer l’indépendance des paysans, ils avaient exclu les propriétaires, les anciens soigneur », de l’administration locale et remis aux paysans le choix de leurs anciens, des woyt polonais, comme des starostes et starchines russes.
  2. Kholopskago jonda
  3. Lettre à sa femme.
  4. Outchregditelnyi komitet. Comité pour assurer la mise à exécution des nouvelles réformes.