Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douleur Nicolas Alexèiévitch, est le seul auquel je puisse me fier pleinement, et il ne saurait suffire à tout. » Dans sa détresse, Milutine adressait un appel désespéré à Samarine. « Vous ne sauriez comprendre, lui disait-il en avril 1864, dans quelle position terrible nous sommes ici sans vous ! .. Pour peu que votre santé vous permette de faire ce sacrifice, ne refusez pas, ne fût-ce que pour six semaines[1]. » Samarine ne put rester sourd à de telles supplications ; malgré ses résolutions antérieures, il revint à Varsovie prendre place au comité constituant, mais il n’y demeura que quelques semaines, jusqu’à l’arrivée d’un de leurs anciens collègues des commissions de rédaction, M. Solovief, qui, écarté des affaires à Pétersbourg, s’était décidé à répondre aux instances de Nicolas Alexèiévitch.

Voici en quels termes Milutine s’était adressé à Solovief ; nulle part il n’a dépeint lui-même sa politique en Pologne avec plus de netteté et de décision :


N. Milutine à J. Solovief.


« Varsovie, 23 mars, 4 avril 1864.

« J’espère, très honoré Jacques Alexandrovitch, que vous aurez reçu à l’heure qu’il est les ukases que je vous ai envoyés et les documens concernant la réforme des paysans en Pologne. C’est le premier pas sur la voie des réformes qui doivent, à présent, recevoir un développement énergique et toucher à toutes les branches de l’administration : finances, instruction publique, police et tribunaux. Tout cela doit se faire, naturellement dans le même esprit, et en vue d’un but clairement indiqué ; relever et remettre sur leurs pieds les masses opprimées[2], en les opposant à l’oligarchie dont jusqu’ici ont été imprégnées toutes les institutions polonaises. Je puis dire avec joie que telles sont les convictions de l’Empereur. Je puis ajouter aussi que chaque jour me persuade de la possibilité de remplir ce programme. Avec le temps, nous pourrons trouver en Pologne même des élémens actifs sur lesquels nous pourrons nous appuyer[3]. Mais en attendant, nous devons agir avec des Russes et cela non-seulement à cause de l’état anormal du pays, mais aussi à cause de l’incapacité actuelle des Polonais, eux-mêmes de rien organiser en dehors de leurs ineptes traditions. Cette capacité ne

  1. Lettre à Samarine du 3/15 avril 1864.
  2. Podniat i postavit na noghi.
  3. Milutine revenait souvent sur cette idée. Dans une lettre du 22 mai 1864, il répétait que plus tard on pourrait employer des Polonais.