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ne peut être niée abstraitement, mais dans la réalité elle est contre-balancée par tant de circonstances diverses que, presque dans tous les pays la différence entre les salaires de métier à métier et de localité à localité s’est accrue. La théorie du Wages Fund ne paraît donc fondée ni en principe ni dans ses applications.


III.

M. Leslie a également appliqué sa méthode à une question d’un autre ordre, mais non moins importante, la distribution et les changemens de valeur des métaux précieux au XVIe et au XIXe siècle. Stuart Mill me disait peu de temps avant sa mort que ces études étaient les meilleures qu’il connût sur la matière. La plupart des économistes qui l’ont traitée parlent de l’augmentation des prix résultant de l’afflux en Europe de l’or et de l’argent, comme si c’était là un fait général observé dans tous les pays. Ainsi M. Jacob, qu’on cite toujours en cette matière, formule ses conclusions en ces termes : « En Angleterre et dans les autres états de l’Europe, durant le siècle qui suivit la découverte de l’Amérique, la quantité des métaux précieux a augmenté environ cinq fois, et le prix des « commodités » s’est élevé à peu près dans la même proportion. » Cette affirmation a été généralement admise ; et cependant M. Leslie montre par des faits indéniables que, prise dans sa généralité, elle est complètement inexacte et qu’elle ne s’applique tout au plus qu’aux capitales où les relevés statistiques ont été faits. L’influence de l’afflux des métaux précieux sur les prix ne s’est fait sentir que dans les parties de l’Europe facilement accessibles au commerce, c’est-à-dire en somme dans un cercle très restreint. Ailleurs les prix n’ont guère varié. Ainsi il est certain que, pendant deux ou trois siècles, l’argent de Potosi ou du Mexique n’a point pénétré dans la Moscovie, dans les Highlands de l’Écosse ou dans l’ouest de l’Irlande. Même à proximité de Londres, dans beaucoup de régions, les prix étaient restés stationnaires. Arthur Young a fait un tableau du prix des denrées alimentaires dans les divers comtés de l’Angleterre. Dans beaucoup de localités la viande se vendait 0 fr. 20 la livre. M. Porter a noté qu’à Horsham, en Sussex, tout près de la capitale, on l’achetait pour moins de 0 fr. 10 à la fin du siècle dernier, c’est-à-dire aussi bon marché qu’au moyen âge. Adam Smith rapporte qu’en Écosse, jusqu’à l’époque de l’union avec l’Angleterre, la viande coûtait moins que le pain d’avoine, et il parle de villages où, même de son temps, l’argent était si rare que, dans les cabarets, on payait l’ale au moyen de clous. Chaque famille produisant ce qu’elle consommait, les échanges étaient presque nuls, et on ne voyait pas de monnaie. En Irlande, jusqu’en 1846, il y avait