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forme dont il avait été frappé. Je garde précieusement, comme un souvenir de notre enfance, les vers qu’il faisait en classe entre deux devoirs. Les première renferment une satire contre le collège Rollin ; j’y retrouve l’influence de la Némésis poussée jusqu’à l’imitation :

Loin du Palais-Bourbon où, sans miséricorde,
Le rapace budget nous met au cou la corde,
Où, mandataire usé, le député crétin,
Sans consulter l’honneur, met son vote au scrutin.


Le collège, on le pense, n’est pas mieux traité que le pouvoir législatif :

Il étend son drapeau, drapeau caméléon,
Flottant pour Louis-Philippe ou pour Napoléon.


J’admirais de tels vers ; j’essayais d’en faire et je n’y réussissais pas. M. de Cormenin nous encourageait, nous donnait des sujets à traiter et nous semblait un peu excessif lorsqu’il prétendait nous faire employer nos jours de congé à écrire des narrations. Il aimait les vers et en avait fait beaucoup au temps de sa jeunesse ; son début poétique, les Nymphes de Blandus, lui avait valu d’emblée un poste d’auditeur au conseil d’état ; dans le Keepsake français pour 1831, il avait donné une ode froide, mais belle, intitulée : Ninive, qui détonne un peu à côté de : A la jeune France, de Victor Hugo, des Derniers Momens de François Ier, par Alfred de Musset, et de Gilles de Retz, par Ernest Fouinet. Il était alors à l’apogée de sa célébrité ; le pseudonyme de Timon, dont il signait ses pamphlets, était populaire. On le considérait comme l’adversaire personnel de Louis-Philippe, et les journaux de l’opposition chantaient ses louanges. On discutait fort pour savoir s’il était légitimiste ou républicain ; dans les deux partis systématiquement hostiles à la monarchie de la branche cadette, on le flattait et on se réclamait de lui. Il laissait faire et ne se dévoilait pas. Je l’ai connu, beaucoup approché ; lorsqu’il est mort, le 6 mai 1868, à l’âge de quatre-vingts ans, j’étais au chevet de son lit et je l’ai conduit au cimetière de Joigny, dans la tombe où son fils l’avait précédé. J’en puis parler. Comme tout homme public qui fait naître plus d’espérances qu’il n’est résolu à en réaliser, il fut calomnié, calomnié par ceux qui lui reprochaient d’être trop modéré, calomnié par ceux qui lui reprochaient d’être trop violent. C’est le sort des esprits pondérés ; il n’y échappa point. En somme, il n’était ni républicain, ni légitimiste, ni orléaniste ; il était plébiscitaire.