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politique ou économique, elle a dans le récent bill de coercition, par exemple, assez de griefs réels ou imaginaires pour que les chefs du parti national conservent leur ascendant et ne soient pas de longtemps désarmés dans leur lutte contre la suprématie britannique.

Ce qui se passe dans l’île depuis quelques semaines en est une preuve trop manifeste. On est tenté de s’étonner des proportions nouvelles qu’ont prises les troubles agraires et l’agitation irlandaise depuis que, pour donner satisfaction à la population rurale, le gouvernement anglais travaille à faire reconnaître par la loi les principales prétentions des tenanciers. Devant un tel spectacle, les adversaires de la politique libérale semblent autorisés à répéter que, loin de désarmer l’esprit de révolte, les concessions gouvernementales n’ont fait que lui servir d’aliment.

Cette affligeante anomalie s’explique heureusement par d’autres considérations. Le cabinet Gladstone, dont on ne saurait contester les généreuses intentions, a cru faire preuve de virilité et d’habileté à la fois en présentant presque en même temps au parlement le bill de coercition et le bill agraire. Aux yeux de M. Gladstone et de M. Forster, ces deux bills devaient sans doute se compléter, se corriger et peut-être se faire passer l’un l’autre. Le premier témoignait que le cabinet saurait faire acte d’énergie et que s’il proposait des mesures en faveur des tenanciers d’Irlande, ce n’était pas qu’il se laissât intimider par le landleague. Le second devait montrer au peuple que les ministres étaient sincèrement préoccupés de soulager ses souffrances et que c’était du gouvernement britannique et non des homerulers que l’Irlande devait attendre le redressement de ses griefs. Par malheur, les faits ont cruellement démenti les espérances de M. Gladstone et les calculs de M. Forster. Jamais l’Irlande n’a été aussi troublée que depuis la promulgation du bill de coercition ? jamais les crimes agraires n’ont été aussi nombreux et aussi audacieux que depuis la présentation du landbill.

De ces deux mesures simultanées, celle qui devait attester la force du gouvernement n’a guère fait qu’exaspérer l’irritation nationale, celle qui devait pacifier les campagnes n’a guère fait que convaincre les tenanciers du bien fondé de leurs prétentions et les rendre plus intraitables dans ce qu’ils regardent comme la légitime défense de leurs droits méconnus.

Un tel résultat, si on y réfléchit, n’a pas lieu de surprendre. L’ingénieuse combinaison de sévérité et de condescendance adoptée par le cabinet libéral pourrait paraître habile et prévoyante à Westminster ; en Irlande, elle avait le grave défaut de ne pouvoir être aisément comprise du peuple. Aux yeux de populations ignorantes