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La Vierge aux anges que nous voyons cette année, a beaucoup de charme : des anges endorment l’Enfant Jésus dans les bras de sa mère en faisant entendre à son oreille le murmure d’une musique céleste. C’est un ouvrage gracieux, bien étudié dans toutes ses parties et dont la tenue est excellente. Mais, nous le répétons, la peinture d’histoire, considérée comme une forme de l’art élevée, mais convenue, est battue en brèche par les artistes qui aspirent à plus de vérité et de liberté, comme par ceux qui veulent serrer le caractère historique de près. Les deux envois de M. Brozik répondent à cette dernière visée, mais ils méritent, de plus, une attention spéciale à cause du parti-pris de coloration qui les distingue de la plupart des peintures du Salon. M. Brozik appartient aux écoles autrichienne et bavaroise, qui placent volontiers le sujet dans un milieu puissamment coloré. Cette manière de voir et de représenter les choses est absolument contraire à celle qui prévaut chez nous. Nous devons donc nous applaudir de la présence des tableaux de M. Brozik à l’exposition, comme nous nous fussions félicité d’y voir paraître le Christ devant Pilate de M. Munkacsy, parce qu’ils donnent une note à part et que c’est une idée vraie et une idée d’artiste que celle qui consiste à créer pour les œuvres pittoresques un milieu absolument différent de celui dans lequel le spectateur se meut. Le meilleur des deux ouvrages qui se présentent à nous dans ces conditions intéressantes est Christophe Colomb à la cour de Ferdinand le Catholique et d’Isabelle de Castille. La composition est simple et suffisamment intelligible ; le caractère historique est assez bien observé ; mais il y a des morceaux, et particulièrement de têtes, qui sont d’une belle peinture. Ces qualités se retrouvent, mais non pas au même degré, dans l’autre envoi de M. Brozik. Eh bien ! de loin, comparons-le, par exemple, à un bon tableau de M. Rixens, qui représente la Mort d’Agrippine. Celui-ci ne gagnerait-il pas à être d’une coloration plus vigoureuse, mieux imaginée au point de vue de l’effet tragique, et, si l’on veut, qui rappelât moins le jour de l’atelier ?

Dans l’état où sont les arts, il est bien difficile de délimiter rigoureusement les genres afin de les étudier à part. Aujourd’hui, toutes les productions de l’esprit témoignent d’un mélange des élémens les plus divers. Au théâtre, nous avons des ouvrages que l’on nomme des pièces et qui réussissent très justement. Il y a de même au Salon des peintures que nous appellerons simplement des tableaux et dont plusieurs dénotent chez leurs auteurs des talens remarquables associés à une heureuse invention. Dans une harmonie rêvée et dans un ordre de sentimens doux et suaves, M. H. Leroux continue à développer la série de sujets antiques avec lesquels il sait nous intéresser déjà depuis bien des années. On revoit