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préférence. Cependant tout l’invite, et il n’a qu’à choisir. M. Cabane ! a peint avec élégance la scène des coffrets, qu’il a tirée du Marchand de Venise. Le monologue d’Othello, avant de tuer Desdémone, a inspiré à M. Richter un tableau d’un effet tragique et d’un coloris à la fois ardent et sombre. Avec M. B. Constant, nous subissons la fascination d’Hérodiade, ou nous assistons au passe-temps d’un kalife de Séville. M. J. Breton tient toujours le premier rang par le style qu’il apporte à traiter des sujets empruntés à la vie des champs. Si vous aimez une belle couleur et une touche vigoureuse unies à une parfaite connaissance de la structure et des mœurs des animaux, M. Van Marcke et M. C. de Villefroy vous transportent au milieu de troupeaux superbes. Préférez-vous les Bohémiens de M. Adrien Moreau ; les Campagnards au travail de M. Beauverie et de M. Laugée fils ? L’Artiste malade de M. Ravel n’est-il pas bien sympathique ? Et ne voulez-vous pas plaindre un instant les Petites Orphelines de M. Hawkins ? C’est le beau temps : faisons le tour du lac avec les belles nautonières de M. Heilbuth ! .. Mais non ! et c’est là le phénomène : en dépit de tant de variété, d’esprit et de charme, malgré nos mœurs adoucies et les cruelles, leçons du sort, la faveur du public est aux combats et aux scènes de carnage. Puissance du talent d’un peintre ! nous nous oublions pour regarder les spectacles terribles qu’il lui plaît d’évoquer. Le succès le plus populaire de cette année est pour M. de Neuville ; On s’arrête en foule devant ses tableaux : on se presse pour voir le Cimetière de Saint-Privat, on scrute avec une avidité poignante tous les détails de cet épisode historique où une poignée de héros achève de succomber sous le nombre. Aussi bien l’artiste n’a-t-il jamais été mieux inspiré. Il se montre ici complet, tout entier : la composition, l’analyse des caractères, l’exécution, y vont de par avec le patriotisme le plus généreux. Mais le public, au fond, porte à de tels sujets une sympathie latente. Est-ce donc vrai que la guerre est un état naturel à l’homme, et non pas, comme le disent les humanitaires, une dérogation aux lois de sa destinée ?

Cependant l’homme connaît le prix de la vie. Il s’aime, il s’admire et il se plaît à reproduire ses formes, sa figure, rien que pour le contentement qu’il éprouve à se contempler dans ses œuvres. Si l’idée d’imitation, quand elle se dégage du travail de ses mains, devient une cause de jouissance pour son esprit, il y a en lui une sorte de sociabilité qui est satisfaite quand il se trouve en présence de sa propre image. Rien ne le démontre mieux que le succès qu’obtiennent les portraits et même les figures d’étude. Cette dernière sorte d’ouvrages, dont nous avons dit quelque chose à propos de la sculpture, a toujours eu, depuis la renaissance, la faveur des plus grands peintres. À ce genre appartiennent certains