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lui donne tout son accent. On devine sous les gants des mains d’une grande finesse. La toilette est blanche et en partie cachée par un manteau de fourrure sombre. L’ensemble est jeune, noble, élégant. L’autre toile de M. Bonnat, celle-ci nous semble un chef-d’œuvre, c’est le portrait de M. L. Cogniet. Assis de face, le coude sur le genou et le menton dans la main, le noble artiste plein de jours se penche doucement en avant. Il vous regarde avec la mélancolie de son grand âge et l’inaltérable bienveillance de son cœur. Il est encore à l’atelier : une palette toute chargée de Couleurs fraîches est à côté de lui. Faut-il dire que la ressemblance est parfaite ? Tous ceux qui ont approché M. L. Cogniet dans les dernières années de sa vie nous l’affirmeront. Ajouterons-nous que l’exécution est superbe ? sur ce point on est unanime. Mais ce n’est pas tout, M. Bonnat a mis dans ce portrait une intensité d’âme qui donne à son œuvre une haute valeur morale. Ému pour son modèle de respect et d’affection, les sentimens qu’il a éprouvés nous pénètrent. Tout nous avertit que celui qui est là est le maître et aussi que le peintre a été l’élève pieux… Et que parle-t-on aujourd’hui de procédés et de manières, d’art nouveau ou de ce que, dédaigneusement, on nomme le vieux jeu ? Avoir son talent, apporter à son œuvre un sentiment sincère, profond, y mettre de son cœur, c’est la vraie recette de l’art, c’est le jeu éternel !


V

Les différentes sortes de gravure et la lithographie sont classées de telle manière que l’on embrasse chaque section d’un coup d’œil et que l’on peut facilement comparer les genres entre eux. Ceux-ci. forment des groupes qui sont inégaux en importance et qui témoignent aussi d’une activité qui n’est point partout la même. La gravure au burin et la lithographie, quoique représentées avec distinction, ont quelque chose de languissant ; la gravure à l’eau-forte et la gravure sur bois sont au contraire extrêmement vivantes. Qu’il soit permis de faire remarquer tout d’abord que, parmi ces arts, les plus animés sont ceux dont la pratique se développe et se transforme sans interruption.

Le burin, avec ses procédés lents et définis, donne aux ouvrages qu’il crée un air de gravité et une détermination rigoureuse qui, dans le voisinage des gravures hardies et libres des aquafortistes, ressemblent à du formalisme et à de la froideur. Mais en les étudiant, on reconnaît que les traditions d’un art qui, pendant près de deux siècles, a honoré la France, ne sont point tombées dans