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parle-t-on sans cesse à Berlin de l’annexion du Hanovre ? C’est que les princes ne se voient pas. Pourquoi n’y parle-t-on jamais de l’annexion du Mecklembourg qui nous cause tant d’ennuis ? C’est que les princes se voient. » Quand on est souris, on fuit le commerce des chats, et pourtant les marques de confiance qu’on leur donne les embarrassent. Quoi qu’en ait dit le poète, ils y regardent à deux fois avant d’étouffer les gens qui les embrassent ; si chats qu’ils puissent être, ils ont des apparences à sauver, un décorum à garder.

Pour conquérir l’hégémonie à laquelle elle aspirait, la Prusse exploitait avec un art merveilleux les entraînemens de l’opinion. Elle donnait des espérances à tout le monde, et tout conspirait en sa faveur, les intérêts économiques qui poussaient à la destruction des grandes et des petites barrières, les alarmes peu fondées des patriotes qui prétendaient que l’Allemagne, telle que les traités de Vienne l’avaient faite, était à la merci des entreprises de l’étranger, les mécontentemens dés libéraux, qui voyaient dans l’institution d’un parlement allemand le seul moyen de mettre à la raison les petits princes autoritaires. Le chef de l’opposition hanovrienne, M. de Bennigsen, avait fourni à la propagande de la Prusse une de ses armes les plus puissantes en fondant le Nationalverein, association très remuante, dont le réseau s’étendait partout et dont les meneurs exhortaient la nation à confier ses destinées aux mains des Hohenzollern. M. de Bennigsen a rendu aux ambitions prussiennes des services essentiels, et il n’y a pas de justice dans ce monde puisqu’on n’a pas encore trouvé de portefeuille à lui donner. Les petits princes ne pouvaient déjouer les combinaisons de l’ennemi qu’en travaillant, eux aussi, pour les intérêts économiques et en Rappliquant à devenir plus libéraux que le roi de Prusse. Mais le roi George avait le parlementarisme dans une sainte horreur, il était fermement persuadé que les rois légitimes sont institués de Dieu pour gouverner les peuples, qu’ils ont le droit de choisir leurs ministres comme ils l’entendent. La révolution était son cauchemar, il la voyait partout, et il estimait que les réformes mènent aux bouleversemens.

Non-seulement il n’entendait pas recevoir la loi de sa chambre, un cabinet responsable et solidaire était à son avis une machine dangereuse, une atteinte portée à la majesté du souverain. Il soupçonnait sans cesse les ministres de son choix de conspirer contre son autorité, il les accusait de menées, de manœuvres secrètes, il ressentait à leur égard toutes les défiances d’un roi qui n’y voit pas, car l’imagination des aveugles est sujette à s’effarer, « Borries, disait-il, voudrait m’enfermer dans une chambre dont il aurait seul la clé ; il a des velléités d’être un Richelieu, il oublie que je ne suis pas un Louis XIII. » Il avait sous la main un homme précieux, M. Windthorst, qui, après la catastrophe, a prouvé en mainte rencontre son attachement à la maison de Hanovre et déployé les talens d’un politique avisé. Il ne l’appelait