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et sans conteste aucune : « Bien joué ! s’écrie la galerie équitable ; on ne pouvait mieux faire ; seulement excusez-nous, ce jeu-là, ne nous émeut plus. » On déclare à l’envi que Diana est un chef-d’œuvre, au sens où quelquefois les ouvriers prennent ce mot : c’est l’ouvrage d’un homme passé maître en son métier, comme, tel morceau de bois tourné ou telle pièce de serrurerie. Mais quoi ! vous connaissez le sort vulgaire de ces chefs-d’œuvre : fêtés un jour par les compagnons de l’artisan, ils demeurent inutiles ensuite sous un globe de verre. Acclamée un soir comme parfait exemple d’un genre, Diana, le lendemain, attendait vainement le public.

Dira-t-on que le drame, chassé des grands théâtres, s’est réfugié, heureusement sur quelques scènes d’ordre inférieur ? En effet, le Château d’Eau, Cluny, l’ancien Lyrique lui restaient ouverts en ces temps de détresse ; par un système ingénieux de billets à bon marché, il pouvait y garder une modeste clientèle : grande baisse de prix après faillite ! J’ai, sous les yeux, la liste effroyablement longue des ouvrages représentés l’an dernier, sur ces théâtres. Quelques drames judiciaires, Casque-en-fer, Chien d’aveugle, ont bien pu captiver un public de quartier : rien pourtant ne s’y montre qui décèle une renaissance du genre ; et combien d’autres ont péri sans avoir fait pleurer personne ! Cherchons-nous dans ce grand nombre, un drame de mœurs modernes ? Nous trouverons les Nuits du boulevard, où l’on voit des forçats libérés se déguiser en princes moscovites pour échapper à des lords anglais dont ils ont tué les fiancées. Du drame historique il n’est même plus trace, à moins, que l’on ne prenne pour historiques l’Inquisition et Garibaldi, et autres farces de même espèce, faites pour animer les spectateurs du paradis à détester les cléricaux ou à cracher sur l’orchestre. Encore cette variété d’ouvrages n’a-t-elle guère de succès : la preuve, c’est que le conseil, municipal de Paris, après mûr examen, renonce au projet de nous donner, sur la scène de la Gaîté, « cet enseignement philosophique et révolutionnaire que la musique est incapable, de fournir. » L’assemblée de nos édiles, qui vient d’imposer au directeur du Châtelet l’obligation de jouer le vendredi saint (clause qui, par parenthèse, nous ménage d’amusantes surprises, car on verra des figurantes refuser, par religion, de se montrer, ce jour-là, demi-nues comme tous les jours), cette assemblée si curieuse de « relever le niveau de l’art, » demeuré, « on ne sait pourquoi, » le même que sous l’empire, cette assemblée a renoncé, par 34 voix contre 28, à ce dessein tant prôné d’un théâtre municipal de drame. Quel meilleur document pourrions-nous exiger du discrédit où le drame est tombé ? Qui donc soutiendra que c’est encore une forme, d’art, quand ce n’est même plus un instrument de cabale politique ?

La veille, du jour où le Prêtre fut représenté à la Porte-Saint-Martin, on avait accueilli par des éclats de rire, à l’ancien Lyrique, un gros drame judiciaire, la Cellule. n° 7. Et, faut-il le dire ? un mois avant,