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et le Menteur. M. Delaunay, dans le Menteur, est toujours exquis : il le sera peut-être pendant quarante années encore ; il n’aura pas mis d’intervalle entre la première jeunesse et la seconde enfance : pour un comédien, est-ce bien là le bonheur ? M. Silvain débutait dans le rôle du vieil Horace ; je suis fort aise, à cette occasion, de déclarer que ce n’est pas lui, mais M. Villain, qui jouait le mois dernier Basile dans le Mariage de Figaro. M. Silvain est un bon acteur, consciencieux et correct ; il faisait dans le Cid un excellent roi, qui prononçait toutes les syllabes équitablement. Dans Garin, encore, on prenait plaisir à l’entendre après M. Mounet-Sully, comme un critique malicieux, l’an passé, prenait plaisir à revoir les Tragiques de M. Patin après avoir vu grimacer les Deux Masques de M. de Saint-Victor. Il ne faudrait pas pour cela que M. Silvain prît trop d’importance ni qu’il gardât toujours la raideur d’un roi mage sur une tapisserie. Qu’il soit, même sous la toge du père des Horaces, moins rond que M. Dumaine, j’y consens volontiers ; je voudrais cependant qu’il prêtât à ce vieux bourgeois de Rome un peu plus de bonhomie et de familiarité ; quand il s’écrie :

Qu’est-ce ci, mes enfans ? Écoutez-vous vos flammes,
Et perdez-vous encor le temps avec des femmes ?


je voudrais qu’il se relâchât un peu de cette dignité d’apparat, que les Romains n’ont jamais eue que dans les tragédies de collège.

Mais, pour revenir à M. Delair et terminer par lui, disons que son à-propos, glissé entre Horace et le Menteur, est fort supérieur à la plupart des opuscules de ce genre. M. Delair s’est donné la peine de composer une petite pièce, et le Fils de Corneille mérite de reparaître sur l’affiche. Les vers, en maint passage, sont cornéliens tout de bon, et le style est presque purgé de ces scories qui déparaient Garin. Quand verrons-nous à la Comédie-Française, ou bien à l’Odéon, un second drame de M. Delair ? Qu’il dépouille, cette fois, son romantisme barbare ; qu’il mette dans la bouche de héros bien vivans des vers aussi virilement frappés que ceux du Fils de Corneille. Qu’il renonce, lui aussi, à chercher des fables bizarres, à loger dans des châteaux d’architecture baroque des fantômes et des fantoches : il est assez bien doué pour qu’on l’invite à faire sa part de belle besogne, à n’avoir souci de rien plus que de l’observation et du style, à conspirer, en un mot, avec les gens de bon sens, pour l’heureux accord de l’art dramatique et des lettres.


Louis GANDERAX.