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« LAMARTINE. — Je n’ai jamais lu deux Harmonies ou Méditations de Lamartine sans sentir des larmes dans mes yeux. Quand je les lis tout haut, les larmes coulent sur ma joue. Heureux quand je vois d’autres yeux plus humides encore que les miens ! Larmes saintes, larmes bienheureuses d’adoration, d’admiration et d’amour ! »

Relevons à ce propos, dans la correspondance inédite d’Alfred de Vigny, un passage ayant trait à cette vie mondaine d’alors, dont l’influence devait ensuite se projeter si avant sur l’existence de Lamartine :

« Vous me parliez de Lamartine ; certainement je l’ai vu ici et presque tous les jours ; il a été gâté comme Vert-Vert, et tout le monde ici lui a dit : « Mon petit fils, mon mignon » en lui donnant des bonbons ; il avait tous les soirs deux ou trois petites duchesses à ses genoux, sollicitant des vers qu’il refusait avec une cruauté pleine de dignité et de mélancolie, et ce qu’il a de charmant, c’est qu’ensuite, lorsqu’il se trouve avec un ou deux amis et qu’on ne s’y attend pas, il vous dit sept cents vers sans respirer. J’ai eu cette préférence un jour et j’ai entendu les plus beaux vers qu’il ait peut-être jamais faits ; c’est une lettre à un de ses anciens amis, c’est une inondation de poésie pleine d’abondance et de grandeur, ce sont des cascades et des cataractes de grands vers, comme vous savez qu’il en répand[1]. »

On parlait trop de Lamartine à cette époque de la restauration ; aujourd’hui, c’est à qui l’oubliera. Gardons-nous cependant à son sujet des effusions mélancoliques ; on ne récrimine pas contre la mode, elle vous prend, elle vous quitte, et, comme elle vous a quitté, vous reprend. La grande affaire est d’avoir mérité : fac et spera, qu’importe le reste ? Lamartine, dites-vous, n’est plus à son plan, Victor Hugo règne ? sur toute la chaussée, il n’y a désormais de marbre et d’airain que pour sa statue ; repassez dans cent ans et vous verrez que l’équilibre finit toujours par se rétablir ; d’ailleurs Lamartine n’est point de ces génies qui se laissent classer, il n’est ni le premier ni le second, il plane. Rossini disait de Beethoven : « C’est le plus grand des musiciens ; mais voyez-vous, Mozart, c’est le seul ! » Lamartine est une exception de ce genre : même aux jours de sa toute-puissance populaire, il ne se mêlait pas, ne frayait pas ; il choisissait.. Lorsqu’il fut nommé député sous Louis-Philippe, comme un de ses amis lui demandait sur quels bancs il siégerait : « Ni à droite, ni à gauche, ni au centre, répondit-il. — Mais alors où vous placerez-vous ? — Au plafond. » — Nous disons, nous, au firmament, parmi les astres, et ne prenons aucun souci de la nuée qui passe et l’éclipse pour un temps.

  1. Lettre au comte Edouard de La Grange ; 7 avril 1829.