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carnage et ils la continuèrent avec une rage sanguinaire durant une semaine entière. Plus de soixante-dix mille musulmans de tout âge et de tout sexe furent massacrés à Jérusalem ; quant aux Juifs, on les enferma dans leurs synagogues et on les y brûla. L’histoire héroïque des croisades a été faite ; il resterait à en faire l’histoire vraie, en s’appuyant, non-seulement sur les témoignages occidentaux, mais sur les témoignages orientaux, trop dédaignés jusqu’ici ; on y verrait que la domination chrétienne en Palestine, commencée dans le sang, s’est perpétuée par la rapine et s’est terminée dans la corruption. Les moines de Jérusalem reconnaissent avec bonne foi que les croisades ont été des aventures barbares, non des guerres pieuses ; plus d’un m’a expliqué que, si les chrétiens avaient perdu la terre-sainte, c’était par une juste punition de Dieu, qui n’avait pu tolérer plus longtemps les crimes dont ils la souillaient et qui avait mieux aimé livrer de nouveau sa tombe aux infidèles que de la laisser en des mains aussi coupables. Quoi qu’il en soit de cette explication historique, la conduite de Saladin, lorsqu’il arracha Jérusalem aux croisés, offre un parfait contraste avec celle de ces derniers. Autant ceux-ci avaient été barbares, autant il se montra doux, magnanime. Il rendit aux femmes leurs maris captifs, il brisa les fers des pauvres et des orphelins ; son frère, Malec-Adel, paya la rançon de deux mille prisonniers ; si les églises furent converties en mosquées, on respecta du moins celle du Saint-Sépulcre, qui ne fut point enlevée aux chrétiens, tandis que la mosquée d’Omar, sous la domination des croisés, avait été affectée au culte catholique. Il fallait la purifier de cette souillure ; on en lava pour cela les murs et les parvis avec de l’eau de rose. Suivant une tradition répandue chez les Arabes de Jérusalem, cinq mille chameaux furent employés à transporter de l’Yemen la prodigieuse quantité d’essence de roses que l’on consomma à cet usage. Tous les princes de la famille de Saladin prirent part à la cérémonie lustrale. Lorsqu’il ne resta plus aucune trace du passage des chrétiens, Saladin plaça lui-même dans la mosquée la chaire construite par Noureddin. Allah pouvait rentrer dans son temple, dont l’accès allait être, durant des siècles, sévèrement interdit à tout homme qui n’aurait pas embrassé l’islam.

Ce n’est que depuis un petit nombre d’années qu’on peut pénétrer dans le Haram-esch-Chérif et dans la mosquée d’Omar. A part quelques chrétiens qui étaient parvenus à s’y glisser au moment de la conquête d’Ibrahim-Pacha, aucun voyageur n’avait obtenu jusqu’à nos jours l’autorisation d’en franchir le seuil. Tous ceux qui avaient tenté de le faire y avaient échoué. Il eût été dangereux pour eux de s’y aventurer sous des déguisemens, car ils auraient