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pas confirmée jusqu’ici et que très probablement elle ne confirmera jamais. L’idée monothéiste n’a rien de scientifique, et il se pourrait que ce fût à elle que les peuples qui l’ont embrassée avec une ardeur trop exclusive dussent la stérilité intellectuelle qui semble les avoir frappés, dès qu’ils ont voulu sortir de la poésie et de la morale, pour aborder les sciences véritables. Les Hébreux et les Arabes ont été les premiers poètes du monde ; mais on ne trouverait pas chez eux un savant digne de ce nom. Leur philosophie est une pure philosophie de mots, roulant sur des arguties et des artifices de raisonnement ; elle ne s’est jamais élevée jusqu’à la découverte de lois et de principes, car il aurait fallu pour le faire qu’elle consentît à reconnaître, sous la complexité des phénomènes, une complexité de causes qui aurait porté atteinte au dogme primordial du monothéisme. Dans l’étude même de Dieu, il ne lui a pas été possible de se livrer à une liberté d’inventions qui fait des spéculations métaphysiques les plus stériles en apparence un excellent exercice d’esprit. Comment aurait-elle touché à Dieu sans risquer de le dédoubler ? Comment aurait-elle constaté en lui des attributs distincts sans ébranler son unité ? Il est un, et c’est tout ! Rien de moins varié que la prière musulmane ; elle se réduit en somme à un seul mot : Allah ! répété à satiété sur tous les tons et dans tous les modes. Dieu est Dieu ; il n’est pas autre chose : ne cherchez pas à en savoir plus long sur sa nature, car vous vous heurteriez infailliblement à l’hérésie ! Chaque fois que les Arabes, entraînés par la vivacité de leur brillante intelligence, ont essayé de briser le moule étroit de leurs conceptions philosophiques et scientifiques, d’implacables réactions religieuses sont venues immédiatement comprimer leur élan. C’est ce qui leur est arrivé en Espagne, par exemple, à une époque où ils semblaient sur le point de se mettre à la tête de l’humanité civilisée. Cette grande entreprise a fini par un avortement misérable. Aujourd’hui l’idée monothéiste a pour ainsi dire empalé les Arabes ; ils ne peuvent plus faire un mouvement de peur de la briser. Aussi est-elle la seule qui les préoccupe, et revient-elle incessamment, non-seulement dans leurs réflexions et dans leurs prières, mais dans les actes ordinaires de leur vie privée. Les ouvriers qui transportent un poids considérable et qui cherchent à s’exciter par des cris poussent sans cesse la même exclamation : Allah ! Allah ! Dans les villages, les gardiens nommés gaffirs, chargés de la police, se tiennent en éveil la nuit en répétant de quart d’heure en quart d’heure chacun leur numéro d’ordre ; le premier dit : un (oihède) et par extension l’unique, le troisième dit : trois, le quatrième quatre, et ainsi de suite ; mais il ne faut pas croire que le second dise deux (etnène) ; non, il dit : maloutchânia, il n’y en a pas d’autre,