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des digues. Les eaux du Rhône, réunies dans un seul bras, produisaient une chasse assez puissante pour abaisser le seuil de la barre. On touchait au succès. Pendant quelques années le seuil sous-marin se maintint à près de 4 mètres ; après les crues de 1856, on le vit même descendre à 4m,50. Cette profondeur ne pouvait se régulariser qu’en continuant les travaux et en exécutant ponctuellement le programme des ingénieurs. On hésita ; quelques rehaussemens de la barre jetèrent le découragement dans les esprits. On crut tout perdu parce que la passe était soumise à quelques oscillations inévitables, et l’endiguement fut abandonné. On avait à peine dépensé 1,300,000 francs.

Le moment était bien choisi pour réveiller dans l’opinion publique, si impressionnable et si mobile dans le midi de la France, le projet du canal latéral partant du Rhône à la tour Saint-Louis et aboutissant au golfe de Fos.

Nous avons vu plus haut avec quel enthousiasme ce projet fut acclamé par les populations et voté par le gouvernement, avec quel talent les travaux furent conduits ; nous avons décrit aussi les dispositions principales et grandioses de ce Rhône artificiel. L’œuvre est aujourd’hui terminée depuis dix ans ; le fleuve a désormais une porte directe ouverte sur la mer ; mais, il faut le reconnaître, cette porte ne donne passage qu’à un nombre de navires tout à fait dérisoire. En fait, le canal Saint-Louis n’a été jusqu’à présent qu’un magnifique monument, une sorte d’arc de triomphe construit, à la plus grande gloire des ingénieurs, à l’extrémité de l’avenue du Rhône. Malheureusement cette avenue n’est pas encore dégagée ; et, tant que la navigation ne sera pas complètement assurée dans le tronc même du fleuve depuis Lyon jusqu’à Arles, ce couloir artificiel, qui ouvre la route de la mer, ne saurait présenter pour le commerce une bien grande utilité.

Toutefois des dangers bien autrement sérieux menacent l’avenir du canal Saint-Louis, dont le présent est déjà assez pitoyable. Le promontoire du grand Rhône s’avance toujours en se maintenant sur le même axe ; il se trouve ainsi directement exposé au choc de la mer.

Dans ces conditions, les troubles charriés par le fleuve sont arrêtés et retroussés presque sur place et les atterrissemens qu’ils produisent sont distribués des deux côtés de l’embouchure. La plus grande partie de ces troubles est emportée sans doute par le courant littoral de l’est à l’ouest et va nourrir la base du delta et augmenter la largeur des plages désertes de la Camargue, mais une assez notable quantité est refoulée à l’est dans le golfe même de Fos. Ce golfe tend donc à s’ensabler ; et, quoi qu’on ait pu dire