Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/403

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépassera peut-être ce chiffre. Cette énorme dépense est déjà par elle-même, il faut l’avouer, une objection assez grave. Toutefois on ne saurait méconnaître que, malgré les difficultés nombreuses que rencontrera l’exécution du canal du Rhône à Marseille, — et la traversée en souterrain, sur 6 kilomètres de longueur, de la chaîne de l’Estaque paraît à beaucoup de bons esprits un obstacle des plus sérieux, — cette solution grandiose des embouchures du Rhône ne soit pour Marseille une nouvelle source de fortune et ne lui permette de regagner une grande partie de ce transit de l’Europe occidentale que les lignes de l’Italie et de l’Autriche lui font perdre depuis quelques années et qui lui échappera plus encore, si l’on n’y prend garde, par le percement du Saint-Gothard.


III

Une des plus heureuses dispositions du canal de navigation projeté du Rhône à Marseille, c’est de longer et de traverser même une partie de cette mer intérieure qu’on appelle l’étang de Berre et qui est restée jusqu’à présent pour nous à l’état de mer morte, isolée du mouvement commercial de la Méditerranée. On a peine à comprendre ce délaissement. La nature a rarement créé une situation aussi privilégiée. Presque tous les étangs échelonnés sur les côtes de Languedoc et de Provence, depuis les Pyrénées jusqu’au golfe de Fos, ne sont que des lagunes plus ou moins atterries. les apports continus de l’Aude, de l’Hérault, du Lez, du Vidourle, du Rhône exhaussent tous les jours le fond de ces petites mers intérieures, et c’est à peine si les barques de pêche du plus faible tirant d’eau peuvent glisser aujourd’hui à travers les bancs vaseux de ces bassins d’eau tour à tour saumâtre et salée, zone indécise, intermédiaire entre la terre et la mer, dubium ne terra sit an pars maris, comme le disait si bien Pline des plaines submergées de la basse Zélande.

L’étang de Berre, au contraire, appartient à l’ossature générale de la côte ; il fait partie de son relief. Entouré de collines rocheuses sur presque tout son périmètre, il existe depuis de longs siècles, et il existera toujours.

Les anciens connaissaient l’étang de Berre, mais ils ne l’utilisaient pas plus que les modernes pour la navigation côtière. Il est vrai que les faibles dimensions de leurs navires leur permettaient de relâcher chaque soir dans tous les petits ports de la côte et qu’ils n’avaient pas besoin pour être en sûreté de pénétrer dans une mer intérieure. La moindre crique, le plus petit enfoncement leur