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comme toutes les lagunes littorales à l’envasement, que ses rivages étaient insalubres et dépourvus d’eau douce et qu’il n’y avait aucun intérêt pour la marine et le commerce à pénétrer dans cette rade malsaine et insuffisante.

On est revenu aujourd’hui à une plus juste appréciation. L’étang de Berre communique avec la Méditerranée par une coupure naturelle entre les collines qui commencent à la montagne de Fos et vont se souder à la chaîne de l’Estaque. Cette coupure, qu’on appelle l’étang de Caronte, forme ainsi une sorte de goulet de 5 kilomètres de longueur et d’une largeur moyenne de 1 kilomètre. La ville de Bouc est à son entrée, celle de Martigues à sa sortie ; la première est le port sur la mer, la seconde le port sur l’étang. Derrière Bouc, dans le défilé de Caronte, s’étendent des salines et des pêcheries très productives, des bourdigues, comme on les appelle en langue provençale, dont les filets calés à poste fixe encombrent toute la largeur du détroit, y arrêtent les algues et les sables et contribuent depuis un temps immémorial à l’envasement de la passe. En fait, l’étang de Caronte n’est qu’un grau de communication entre la petite mer de Berre et la grande mer Méditerranée et ne présente que des fonds très insuffisans pour la navigation ; mais un dragage peu dispendieux pourrait facilement déblayer ce couloir obstrué et y entretenir une passe de 80 à 100 mètres de largeur sur des fonds de 10 mètres de profondeur, de manière à permettre aux bâtimens de toute nature d’aller librement de la mer à l’étang.

La superficie de l’étang de Berre n’a pas moins de 20,000 hectares. Depuis quarante ans, on n’a constaté aucun atterrissement dans la partie centrale. Les apports de la Touloubre et de l’Arc, les deux seules rivières qui jettent leurs eaux dans ce bassin, sont minimes et ont à peine déterminé une légère saillie à leurs embouchures. Ce n’est que dans la partie sud de l’étang que les fonds se sont un peu exhaussés ; la grande plage, où miroitent au soleil les salines de Vitrolles et de Marignane, est géologiquement de formation récente ; à l’origine de notre période actuelle, les vagues, poussées par les vents dominans du nord-ouest, venaient battre le pied même des collines sur lesquelles sont aujourd’hui bâtis ces deux hameaux, et ce n’est que depuis quelques siècles qu’un petit bassin, l’étang de Bolmon, a été séparé de la mer de Berre par une flèche de sable nommée le Jaï. Cette chaussée naturelle s’est appelée par corruption lou Caïou ; et les antiquaires locaux, qui se plaisent à voir un peu partout les traces de Marius en Provence, en ont immédiatement profité pour déclarer que c’était Une digue romaine construite par les soldats de l’armée de Caius Marius. De