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Hollandais, sous un climat ingrat, dans un pays imprégné d’humidité et présume toujours privé de la chaleur et de la lumière fécondantes du soleil ?

L’agriculture est toujours en Camargue à l’état d’enfance ; on s’y croirait presque au temps d’Abraham et de Jacob, plus loin encore, car les récits bibliques nous apprennent que les peuples pasteurs possédaient des troupeaux disciplinés et que la basse Égypte était une riche plaine couverte de moissons ; et nous assistons ainsi depuis vingt siècles à ce singulier spectacle d’une nation à demi barbare qui a exécuté des travaux gigantesques pour augmenter La fécondité de son sol, tandis que le peuple le plus civilisé de l’Europe laisse en jachère et presque à l’état sauvage une des plus riches portions de son territoire. Si donc, comme tout le fait espérer, les plaines de la Camargue redeviennent un jour ce qu’elles ont été jadis, un vaste champ cultivable et cultivé, un immense parc à bestiaux, c’est là et nulle part ailleurs que devra stationner pendant plusieurs semaines le bétail importé de toute la région méditerranéenne. Le canal Saint-Louis, délaissé jusqu’à ce jour, en sera le port d’arrivage tout naturellement indiqué, et Marseille ne peut songer à lui ravir ce trafic spécial, trop encombrant pour elle et dont la manutention et l’entretien ont besoin de conditions exceptionnelles, d’immenses espaces et de pâturages dont elle ne dispose pas.

A la grande ville phocéenne est réservé un assez beau lot. A la fois tête de ligne dans le midi de la France de notre réseau de chemins de fer et de nos voies navigables, Marseille, comme Cette, sera le point de passage de la majeure partie du transit entre l’Orient et l’Europe centrale. C’est par Cette et Marseille en effet que la France communique avec le monde entier ; mais ces points de passage ne sont plus aujourd’hui obligatoires pour toutes les nations européennes. On l’a dit bien souvent, et il sera nécessaire de le dire encore bien des fois pour que ces idées pénètrent profondément dans l’esprit de tous : la France forme à l’extrémité occidentale de l’Europe une sorte d’isthme dont Marseille et Cette sur la Méditerranée, le Havre et Calais sur la Manche occupent les extrémités ; jusqu’à ces dernières années nous avons pu croire que la traversée de cet isthme devait être la route forcément suivie par les voyageurs et le commerce, et leur épargnerait à la fois le détour par le détroit de Gibraltar et la traversée des Alpes. Mais, il faut bien le reconnaître, nos espérances sont aujourd’hui déçues. L’ouverture du canal de Suez est loin d’avoir augmenté, comme on l’avait espéré, la prépondérance de Marseille en lui assurant la plus grande partie du trafic qui se faisait autrefois par le sud de l’Afrique. Les