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un goût que quelques membres de la société ont vivement loué à Fontainebleau chez M. le comte de Circourt, à Nemours chez M. Fourcade ; c’est le même goût qui, rehaussé par l’intérêt de l’observation scientifique, a créé chez M. Cosson, dans son parc de Thurelles, des stations artificielles où sont cultivés les végétaux de notre Algérie, dont son magnifique herbier contient la collection sèche ; et la flore toute faite. Ces stations y sont de deux sortes : soit dans un parterre ensoleillé où nous sentions à nos dépens que la colonie algérienne retrouvait la chaleur de la Mitidja, soit sur des rochers construits au bord de l’eau, où les espèces montagnardes de l’Atlas jouissaient de la fraîcheur qui leur est nécessaire.

Ce court exposé des principales idées que suggère l’exploration d’une région de la France suffit pour montrer que le botaniste, en face de la nature, n’a pas pour unique pensée de remplir sa boîte à herboriser, et que le souci de déterminer exactement les végétaux recueillis, à l’aide des livres et des index, mène plus haut et plus loin qu’à la confection d’un simple catalogue. La recherche des lois naturelles qui président à la distribution des êtres est le but ultime de ces fécondes promenades, d’autant plus fructueuses qu’elles sont accomplies en commun, et dont on oublie bien vite les fatigues en présence de leurs résultats. On a pu éprouver çà et là quelque déconvenue ; on a regretté l’absence de confrères précieux pour leur valeur scientifique ou pour leur connaissance du pays ; on a eu maille à partir avec les aubergistes, tantôt parce qu’on est arrivé sept pour un déjeuner de trente couverts, et c’est aux dépens de la bourse ; tantôt parce qu’on est arrivé quarante-huit pour un déjeuner de vingt-cinq, et c’est aux dépens de l’estomac. Mais ces tribulations vite passées n’empêchent pas que le soir même les corridors de l’hôtel adopté par la société ne retentissent, d’un étage à l’autre, de syllabes grecques et latines représentant les noms des « bonnes plantes » de la journée. La nuit n’en souffre pas ; le rêve continue la réalité. Enfin la session est close, chacun est rentré chez soi : le botaniste pourra étudier et classer en toute liberté d’esprit les récoltes de son voyage, dût-il entre temps absorber du sulfate de quinine pour se débarrasser de la fièvre rapportée avec les plantes du marécage et jurant, malgré tout… qu’on l’y prendra encore.


EUG. FOURNIER.