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impromptu que j’ai retrouvé sur plus de cinquante albums, que j’ai vu imprimé dans des livres avec des signatures qui constituaient un faux en matière littéraire. Un vieux journaliste l’a si souvent improvisé, « pour plaire aux dames, » qu’il a fini par se persuader qu’il en est l’auteur. Ausone de Chancel savait cela, il en levait les épaules et disait : « On ne vole que les pauvres ! » La nécessité le pressait ; s’il avait eu quelques bribes de fortune, il n’en restait plus trace ; il écrivit des livres de statistique, d’économie politique, de géographie pour le ministère de la guerre ; le général Daumas l’associa à ses travaux, et cet indépendant qui supportait avec peine le joug de la vie sociale finit par entrer dans l’administration ; il est mort après avoir été sous-préfet à Bouffarik, à Mostaganem et ailleurs.

Lorsque je le connus, vers le mois de juillet 1840, il venait de publier un poème d’environ quinze cents vers intitulé : Mark, plein d’humour, et qui passa inaperçu. La langue en était bonne, le vers bien fait, et malgré quelques recherches d’excentricité, ce n’était pas l’œuvre du premier venu. Toutes les injures aux bourgeois, aux savans, aux critiques s’y trouvaient naturellement répétées selon l’usage des jeunes Encelades, qui du premier bond veulent escalader les cieux ; on maudissait le terre-à-terre de l’existence, on faisait appel aux libertés de l’âme, aux enivremens de l’amour et aux joies matérielles. Le poète s’attendrit cependant, et après bien des divagations où il fait l’éloge de choses qui ne sont pas à louer, il revient aux sentimens où l’homme ici-bas trouve sa consolation ; il invoque la nature et la famille :

Je n’aurai donc jamais sur la colline verte,
Où mes aïeux jadis avaient tours et château,
Une blanche maison aux quatre vents ouverte.
Aux pieds d’un bois assise et se mirant dans l’eau !
…. Au seuil de la famille attendre mes vieux jours ;
Ne faire qu’un à tous, être sûr que toujours
La bouche qui me parle est une bouche amie,
Et, comme la colombe en son nid endormie,
Sous l’aile de mon âme avoir tous mes amours !


Ceux qui se promènent de tente en tente tans le désert de la civilisation sont les premiers à se lasser de la vie nomade. J’en fis l’observation à Ausone de Chancel après avoir lu ses vers ; il me répondît : « Le bon moyen d’aspirer au repos, c’est de remuer toujours. » Est-ce en vertu de ce principe allopathique, — contraria contrariis — qu’il parlait admirablement de la vie des vrais lettrés à laquelle il n’avait pu se soumettre ? Je ne sais, mais je n’ai jamais entendu un homme professer comme lui le respect des lettres, et la nécessité du travail. Ainsi que tant d’autres il avait, sans doute, la