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différemment. A quoi bon tant s’acharner après l’indéchiffrable ? To be or not to be : oui, sans doute, c’est la question ; ce n’est pas toute la question. Laissant de côté « l’être en soi » qu’on ne peut connaître, occupons-nous des phénomènes. Et comme le moyen âge était par excellence le pays des visions, des sortilèges et du magnétisme, comme ses mœurs, ses vêtemens, ses superstitions promettaient d’inépuisables contrastes avec la monotonie bourgeoise et parlementaire du train quotidien, comme il tranchait par ses couleurs sur la grisaille moderne, on courut au moyen âge. Ce que le romantisme demande à l’histoire, c’est bien moins le spectacle d’un enchaînement organique que des impressions partielles et des sensations de dissonance. Or sur ce point jamais époque ne montra plus de richesses. Voltaire, qui avait l’instinct de tout, s’en est douté :

O l’heureux temps que celui de ces fables,
Des bons démons, des esprits familiers,
Des farfadets aux mortels secourables !
On écoutait tous ces faits admirables,
Dans son château près d’un large foyer…
On a banni les démons et les fées.
Sous la raison les grâces étouffées,
Livrent nos mœurs à l’insipidité ;
Le raisonneur tristement s’accrédite,
On court, hélas ! après la vérité :
Ah ! croyez-moi, l’erreur a son mérite.


Ne serait-ce pas curieux de rapprocher de ces jolis vers, faciles et coulans comme de la prose, cette pièce d’Alfred de Vigny, reproduisant le même thème en poésie :

Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d’arbre sont noires,
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !


Avouons-le cependant, il y avait dans tout cela bien du convenu et de l’étalage. Émigrations et conversions de fantaisie, toutes les écoles se ressemblent, et l’alexandrinisme qui florissait à Rome sous les Antonins, jouait alors son rôle sur les bords de la Seine. Les seuls naïfs étaient ceux qui manquaient de talent, les chefs n’obéissaient qu’à des amours de tête. Chateaubriand avait remis en vigueur l’oriflamme et « la foi de nos pères, » histoires de littérature où la religion de Bossuet et la tradition monarchique n’entraient pour rien. Lamartine inventait son christianisme lyrique