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susceptibles d’être effectuées graduellement ou même ajournées ; mais s’il y avait deux budgets des dépenses, il n’y avait qu’un seul budget des recettes pour les alimenter tous les deux ; les dépenses extraordinaires de chaque exercice devaient, aussi bien que les dépenses ordinaires, être couvertes par les recettes de ce même exercice. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui : les recettes de chaque exercice sont appliquées en totalité et exclusivement aux dépenses ordinaires, qu’elles ont peine à couvrir ; le budget des dépenses extraordinaires n’est alimenté ni par les recettes, ni par l’excédent des recettes sur les dépenses ordinaires, ni par une dotation quelconque ; il n’a d’autres ressources que celles qui sont fournies par l’emprunt. On a même imaginé un fonds public nouveau, une forme spéciale d’emprunt pour pourvoir à ses besoins. Les deux créateurs du budget extraordinaire, MM. de Freycinet et Léon Say, n’ont rien dissimulé à cet égard dans les discours célèbres qu’ils ont prononcés à Boulogne-sur-Mer et à Dunkerque en septembre 1878. M. de Freycinet exposa son plan, qui consistait à dépenser chaque année de 400 à 500 millions en travaux publics. M. Léon Say, après s’être félicité, à juste titre, d’avoir pu trouver à un taux très modéré les centaines de millions nécessaires au rachat des réseaux secondaires, donna l’assurance que l’épargne française fournirait sans peine chaque année le demi-milliard demandé par son collègue.

En réalité, le budget extraordinaire n’est pas autre chose, sous un nom différent, que le compte de liquidation dont on ne pouvait prolonger indéfiniment l’existence ; mais il est le compte de liquidation étendu et amplifié. Celui-ci devait pourvoir à la reconstitution de notre matériel militaire et naval, considérée comme une dépense extraordinaire et temporaire. Le budget extraordinaire, si on avait pris au pied de la lettre les déclarations de M. de Freycinet, aurait dû pourvoir uniquement à l’exécution des chemins de fer et des canaux dont l’exécution viendrait à être jugée nécessaire pour compléter le réseau de nos voies ferrées et de nos voies navigables ; mais on négligea d’imposer à sa mission ces limites restrictives. On mit tout d’abord à sa charge les crédits complémentaires demandés par les ministères de la guerre et de la marine et qui auraient été imputés sur le compte de liquidation, si ce compte n’avait été supprimé. Il y avait donc déjà trois parties prenantes au lieu de deux ; mais on n’en est pas resté là. Nous.voyons le ministère de l’intérieur figurer au budget extraordinaire de 1882 pour un crédit de 10 millions ; tous les autres ministères y figureront tôt ou tard, car tous auront des constructions neuves à édifier ou se découvriront des besoins urgens. Un ministre des finances combattant, il y a une quinzaine d’années, le transfert de certains crédits au budget extraordinaire, disait à la tribune : « La rectification d’une route peut-être