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de fer disposent d’un personnel nombreux et expérimenté, formé par une longue pratique des travaux et supérieur sous le rapport de l’expérience à celui de l’état ; elles possèdent toutes un matériel considérable qu’elles peuvent déplacer à peu de frais ; elles ont des approvisionnemens de matériaux, des marchés passés ; elles peuvent donc faire plus vite et mieux que l’état. Elles ne sont pas, d’ailleurs, le seul instrument de travail au service de la France. Quand nous avons commencé notre réseau de voies ferrées, l’Angleterre était encore le seul pays où l’exécution des grands travaux fût une industrie régulière. Sous ce rapport, nous n’avons plus rien à envier à nos voisins. Depuis vingt-cinq ans, en vue des travaux que l’état ou les compagnies avaient à donner, il s’est formé des entrepreneurs habiles, expérimentés, pourvus d’un outillage considérable et disposant des capitaux nécessaires. On ne saurait évaluer à moins de 700 ou 800 millions le capital représenté par le fonds de roulement et le matériel de cette branche d’industrie. Tous ces bras, tout ce matériel, tous ces capitaux vont donc être laissés sans emploi et devront se transporter à l’étranger. A quel point de vue peut-il être bon que l’état devienne le seul constructeur à l’œuvre en France, le seul distributeur de travail, le seul consommateur de briques, de pierres, de chaux et de ciment, le seul acheteur, de traverses et de rails ? Est-il sage, est-il prudent que l’état devienne l’unique client d’une foule d’industries dont les représentans assiégeront sans cesse le ministère des travaux publics ? Ce système produira-t-il au moins une plus grande économie dans l’exécution ? On ne l’oserait prétendre, car l’état se trouve dans la nécessité de lever une véritable conscription d’ingénieurs, de surveillans de travaux et de contre-maîtres ; et l’éducation de ce personnel inexpérimenté ne manquera pas d’être coûteuse ; il devra également créer de toutes pièces et répartir sur tout le territoire un matériel d’exécution qu’il ne possède pas. Les travaux que l’état entreprend vont donc se trouver grevés d’une énorme dépense de mise en train qu’on aurait épargnée en s’adressant aux compagnies. Par contre, l’inaction à laquelle le personnel et le matériel de construction des compagnies vont être réduits à partir de 1882, date fixée pour l’achèvement de leurs dernières lignes, représente une déperdition de forces et par conséquent, une diminution des ressources nationales.

La prudence commandait de ménager les forces du pays en reparaissant sur une plus large période une masse de travaux dont les effets utiles ne se produiront qu’au bout d’un certain nombre d’années ; mais, si l’on croyait que la politique exigeait une exécution plus rapide, pourquoi n’être pas demeuré fidèle au système de la