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solder qu’en or et qu’à défaut d’or, le commerce intérieur donne la préférence aux billets. Les écus d’argent que la Banque met en circulation lui reviennent presque tous à l’échéance suivante par suite de l’empressement qu’on met à se débarrasser d’une monnaie lourde et incommode. Si élevé qu’ait été et que soit encore le chiffre total de la réserve métallique, on ne peut, au point de vue des besoins du commerce, considérer comme utilisable et comme susceptible de remplir la fonction d’une encaisse véritable que l’or possédé par la Banque et qui ne constitue que les deux cinquièmes ou le tiers des métaux précieux accumulés dans ses caves. Si donc en apparence et au point de vue théorique, la situation de la Banque est exceptionnellement forte, en fait, elle commande la prudence et de grands ménagemens. D’après le bilan du 21 juillet, l’encaisse de la Banque s’élevait à 1,866 millions, dont 630 millions en or et 1,236 millions en argent. L’or ne constitue donc qu’un tiers de l’encaisse totale. Il serait très intéressant de savoir exactement quelle est, dans ces 1,236 millions d’argent, la proportion des espèces monnayées et celle de l’argent en barre. En effet, les espèces monnayées, qui ne doivent pas dépasser de beaucoup 400 millions, portent en quelque sorte la signature de l’état : le commerce et les particuliers sont tenus obligatoirement de les recevoir pour leur valeur nominale ; si une crise venait à se produire, la Banque pourrait se servir de ces 400 millions pour les paiemens à l’intérieur, mais elle ne pourrait utiliser de même les 700 à 800 millions d’argent en barre qu’elle possède. Non-seulement une loi qu’on pourrait rapporter d’urgence, mais des conventions internationales en interdisent le monnayage. La Banque, qui a dû évaluer ces barres d’argent d’après la valeur que leur transformation en écus leur ferait acquérir, ne pourrait en tirer parti qu’au prix du commerce, c’est-à-dire avec une dépréciation énorme. L’empire d’Allemagne a subi une perte de 15 à 20 pour 100 sur les espèces d’argent qu’il a démonétisées : à ce compte, la Banque de France, en cas de crise, se trouverait exposée à une perte dont le chiffre égalerait son capital.

C’est l’impossibilité où la Banque de France se trouve d’utiliser les deux tiers de sa réserve métallique qui explique pourquoi, au milieu d’octobre 1880, elle a dû élever d’un seul coup son escompte d’une unité entière en le portant brusquement de 2 1/2 à 3 1/2 pour 100. La Banque d’Angleterre, malgré une certaine diminution de son encaisse, n’avait cru de voir rien changer à ses conditions, et les Banques de Berlin et de Francfort venaient d’abaisser leur escompte, lorsque la Banque de France, avec une encaisse fort supérieure à celle de toute autre banque, prit une mesure en sens inverse de ce qui semblait la tendance générale du marché des capitaux. Mais,